L’EAU RARE

eau rare

Player : Raymonde Moulin, Le Marché de l’art

La sauvegarde de la rareté est, selon Raymonde Moulin, la condition nécessaire de l’acceptation par le marché de l’art. Il est en effet remarquable de voir comment la conscience de la rareté affecte le regard autant que le marché.

Afin de débarrasser le sujet de toute dimension symbolique choisissons un matériau avant qu’il ne s’informe et non un objet. Prenons le plus banal. Débarrassons-le des propriétés qui le rendent nécessaire à notre survie. Oublions qu’il constitue plus de 80% de notre corps. Bref intéressons nous uniquement à ses propriétés esthétiques.
L’eau constitue le parfait candidat. Imaginons l’eau sans soif, l’eau affectée de la rareté du diamant. On redécouvre alors sa transparence, sa pureté, plus ou moins grande, ses propriétés dynamiques exceptionnelles. Ses propriétés optiques étonnantes, diffraction et réfraction qui créent reflets et distorsions, font de l’eau à l’état aqueux un non-objet à la plasticité paradoxale, qui prend la forme de tout les contenants mais ne la conserve qu’avec la complicité de la pesanteur.

On se rend compte aussi que l’eau ne séduit pas par elle-même mais par comment elle altère ou réfléchit l’image du monde. C’est parce que la transparence n’est pas totale que nous percevons, sans la toucher, la présence de l’eau. C’est grâce à son reflet que les premiers hommes, dit-on, prirent conscience de leur image. Voici une matière qui n’est pas belle en soi mais à travers soi. Une matière médium, ou plutôt une matière média qui prend une toute autre valeur quand on s’intéresse de façon métaphorique à la fluidité de l’information numérique, non soupçonnable de transparence excessive, ou à la liquidité monétaire sublimée par le réseau.

Finalement l’eau n’est elle pas une des substances les plus rares de l’univers ? Sa distribution inégale explique notre difficulté à se sentir moins seuls sur la galaxie. L’autre composante de la vie c’est le carbone, dont la forme la plus pure est le diamant. Deux transparences s’affrontent : la transparence cristalline à la stabilité remarquable mais qui part aisément en fumée, la transparence fluide à la souplesse exceptionnelle qui éteint le feu. Deux états des matières, deux états de l’absence, deux expériences esthétiques qui s’apprécient hors marché et dont l’existence justifie à elle seule notre présence dans l’univers.

Par sa plasticité dynamique, l’eau représente peut être la forme la plus proche de la création contemporaine qui se satisfait moins de forme absolue, figée pour l’éternité, que de processus activé à l’occasion d’une rencontre avec l’obstacle, qu’il soit objet ou humain. S’il fallait pousser la métaphore jusqu’à notre difficulté à penser les mutations esthétiques et artistiques les plus récentes, les médias numériques sont dans le fluide, alors que les média traditionnel sont de le solide, la pensée réifiée.

Le projet pourrait être une situation de gravité 0 où la sculpture dynamique serait la forme d’un litre d’eau flottant dans l’espace indépendamment de tout contenant. Il en résulterait la forme-étalon celle qui naitrait de la capacité des molécules à maintenir une cohérence relative à la limite de la dispersion. La réalisation la plus parfaite de se projet aurait redistribué les atomes d’hydrogène et d’oxygène sur la terre de manière à ce que ce litre d’eau soit le dernier, ou l’unique.

1 Star2 Stars3 Stars4 Stars5 Stars (3 votes, average: 4, 67 out of 5)
Loading ... Loading ...

Laisser une réponse

Vous devez être connecté pour publier un commentaire.