Le Tunnel sous l'Atlantique

Le Tunnel sous l'Atlantique

En septembre 1995, Le Tunnel sous l'Atlantique, installation interactive de télévirtualité, relie Montréal et Paris, physiquement distants de plusieurs milliers de kilomètres, et permet à des centaines de personnes de chaque côté de l'Atlantique d'entrer en contact. À chaque extrémité, un tube de deux mètres de diamètre, comme planté dans le sol, laisse deviner une traversée rectiligne de la planète, jaillissant d'un côté au milieu du Musée d'art contemporain de Montréal et, de l'autre, au sous sol du Centre Pompidou.

Mais le chemin qui sépare les deux lieux n'est pas une simulation du sous sol de l'océan, c'est un bloc de matière symbolique dans lequel les strates géologiques font place aux strates iconographiques. Ce sont ces couches d'images accumulées par l'histoire des deux cultures que chacun pourra révéler au gré de son creusement. Cette exploration collective dévoile des fragments d'images, rares ou familières, qui seront autant d'occasions d'éveiller la mémoire commune des participants. Ces vestiges, prétextes au dialogue et à la flânerie, font du parcours de chacun une expérience unique, un assemblage qui lui est personnel d'images et de sons dans un espace tridimensionnel architecturé par son déplacement. Durant le creusement, le visiteur peut dialoguer avec son homologue, de l'autre côté de l'Atlantique. Le son de sa voit est localisé dans l'espace ce qui permet à chacun de trouver la direction dans laquelle aller à la rencontre de l'autre. Près de six jours sont nécessaires pour construire et parcourir l'espace symbolique avant la rencontre de visu entre les creuseurs des deux continents.

Affranchi des contraintes de la physique, l'espace est alors une fonction du temps. La vitesse n'est pas ici le meilleur moyen d'accélérer la rencontre, mais une manière de caractériser son rapport à l'information. L'architecture du tunnel créé par chaque visiteur détermine le montage de l'image dans le temps du déplacement et dans l'espace construit.

Déformées et façonnées par le tunnel nouvellement creusé, les images révélées constituent la matière même d'un décor qui se redéfini à chaque décision du spectateur/explorateur. Leur enchaînement (temporel) et leur assemblage (spatial) ne sont ni simplement prédéterminés, ni purement aléatoires. Ils résultent, dans les thèmes qu'ils abordent et par l'aspect des images sélectionnées, de la manière de creuser de chacun. Si l'on ne décide pas de ce que l'on va trouver, ce que l'on découvre dépend de comment l'on s'y prend. Céder à la tentation de jouir immédiatement de cette faculté euphorisante de creuser à grande vitesse ne nous fait pas rencontrer les mêmes vestiges iconographiques que l'exploration curieuse et attentive des éléments découverts. L'intérêt manifesté par chacun pour certains détails présents sur les documents rencontrés justifie les développements thématiques ou sémantiques qui s'ensuivront. Le travail d'écriture porte alors, non plus sur une construction définitivement établie d'images et de sons, mais sur la création des conditions de leur apparition à la faveur du comportement exploratoire du visiteur. L'assemblage d'aléatoire et de détermination qui définit l'organisation des éléments constitutifs du résultat final, rapproche cet univers à explorer de notre rapport au quotidien. Sans cesse renouvelé, il est modifié par notre présence sans que l'on soit totalement maître de ses mutations. L'agent (le " Gadevu ") développé dans une version primitive pour le Tunnel sous l'Atlantique est devenu le Z-A Profiler utile pour l'exploration dynamique et intuitive de bases de données complexes.

Intégrant les actions et les dialogues spontanés, la musique composée par Martin Matalon se modifie au cours de l'événement s'organisant, comme les images révélées, autour des parcours individuels dans une mise en scène dynamique sans cesse renouvelée.

L'événement de " télévirtualité " (entendre : mise en relation, à distance, dans un espace symbolique interactif) est " filmé " par quatre caméras virtuelles. Ce qu'elles captent fait l'objet d'un mixage/montage automatique qui tient compte des prises de paroles des deux participants. C'est ainsi que l'on peut découvrir, lors d'un contrechamp, leur image animée, flottant dans l'espace qu'ils viennent de creuser. Eux même ne pourront se voir qu'au moment de la jonction des deux parties du tunnel. L'échange, essentiellement sonore jusque là, deviendra alors visuel. La rencontre réalisée, d'autres peuvent enfin emprunter ce chemin ou en créer d'autres comme une quête collective de la mémoire partagée.

maurice benayoun 1995-2003