L’Inconclusion

l'inconclusion
Quand dans sa Lettre à Chanteloup, Poussin souligne l’importance du cadre destiné à séparer la forme symbolique du tableau de l’espace physique environnant. Il dit clairement la nécessité de refermer la forme sur elle-même, quand elle s’exprime dans un registre de représentation fondé sur la permanence de la trace, afin de l’isoler du monde dans lequel elle se donne à voir.

Je me trouvais, il y a quelques années de cela, assister à un débat qui réunissait Régis Debray, Karine Douplitzky, Bernard Stiegler… La question portait sur la possibilité d’échapper à la double-injonction, introductive et conclusive dans le récit interactif. Et les intervenants de rappeler que le modèle romanesque, largement repris et amplifié par le cinéma, exemplifiait la nécessité d’un début et d’une fin dans le récit.

Bouillonnant d’impatience, percevant bien que la prégnance des modèles de référence occultait l’essence même de la mutation en jeu dans les nouvelles formes d’écriture, j’intervins pour poser quelques hypothèses : Le référent formel des mondes persistants, des univers interactifs, de l’écrit en ligne à la réalité virtuelle, n’est en rien le roman. Un univers virtuel ne répond pas à la tentative maladroite d’immerger le spectateur dans le film comme le film serait une tentative pitoyable de donner de l’image et du son au roman, ou encore de la mémoire au théâtre. Pour les systèmes narratifs fondés sur la « visite » d’un concept ou d’un espace, réaliste et/ou symbolique, le référent est bien le monde dans lequel nous évoluons, qui nous précède et nous survit. Si une vie ressemble à une tranche coupée dans cet espace-temps, d’autres en parallèle se déroulent avec d’autres conséquences et une autre temporalité.
Il est probable que l’on entre dans le flux de la représentation dynamique comme dans celui du fleuve sans que le devenir-sens de ce fluide à la mémoire délibérément active ne soit entravé.

Œuvre ouverte par construction, immergé dans la vie qui le nourrit au quotidien, le blog entre dans ce cadre. Seule la lassitude ou la disparition imposent son interruption ; ce qui ne serait pas encore une conclusion. Je propose donc de théoriser la non-conclusion, comme Borges avait su inventer le Livre de sable rejoignant dans l’image le concept d’œuvre ouverte d’Umberto Ecco.
Il ne faudrait pas confondre inconclusion et « inachèvement »; c’est tout au contraire la propriété de l’achèvement en action, faute de l’être en acte. L’Inconclusion est probablement la seule réponse possible à un questionnement nécessairement ouvert sur la pertinence d’une production et d’une analyse processuelles dont l’enjeu relèverait de l’intention, en tant que notion ou qu’action. Fuyant la fin désespérément, il s’agirait, page à page, d’intenter l’impossible sans se faire arrêter.

1 Star2 Stars3 Stars4 Stars5 Stars (2 votes, average: 3, 00 out of 5)
Loading ... Loading ...

Un commentaire sur “L’Inconclusion”

  1. [...] propre à lire la thèse dans l’œuvre. J’avais pris soin de poster sur le blog une « Inconclusion », pour refermer la parenthèse sans interrompre le processus. J’y avais aussi le matin même [...]

Laisser une réponse

Vous devez être connecté pour publier un commentaire.