Projet de carrière d’artiste : commissaire

Players ; Daniel Buren, André Rouillé (paris-art.com) et bien d’autres

André Rouillé en veut à Buren de redire combien le glissement du rôle du commissaire vers celui de l’artiste lui semble une usurpation de fonction. Seule l’artiste aurait la capacité d’endosser la fonction de commissaire car elle lui revient de droit. C’est dans son cœur de métier. A.R. voit là une prétention extraordinaire de l’artiste qui ne voit pas la spécificité de l’art curatorial (au moins l’anglicisme permet d’échapper à la répétition en offrant une alternative mélodique sans connotation policière, néanmoins un rien chirurgicale). Il me semble clair que les deux ont raison : Buren pour avoir perçu et dénoncé la mutation, Rouillé pour dire qu’il faut en apprécier la portée. S’il y a débat c’est qu’en fait la conciliation des deux positions suppose l’appréhension d’un phénomène qui relève de ce que l’on pourrait appeler la « mutologie » quotidienne, l’observation de la dérive des plaques dont l’étude sémiotique s’impose.

Risquons des hypothèses qui faute d’être nouvelles méritent d’être énoncées:
Causes et effets : il faudrait se demander si c’est la gangue curatoriale en pleine pulsion créatrice qui contiendrait, telle la chape de confinement du réacteur de Tchernobyl, la production artistique dans l’insignifiance; ou bien est-ce l’inconsistance de la production -dont se dégagent difficilement des tendances dignes des avant-gardes historiques- qui invite ou oblige les commissaires à chercher le sens au-delà de l’œuvre, à construire du discours sur de la matière inerte, à chercher la forme dans la glaise de la création de masse.

L’inconsistance de l’art et son atomisation donnerait à la matière artistique la plasticité qui fait les grands media.

En fait, il est simplement difficile d’admettre que parfois, quand il devient auteur d’un discours qui dépasse la somme des parties, le commissaire est un artiste comme les autres. Que son medium est l’art, qu’il soit fait sous son impulsion – et l’on constatera que le plus souvent ce type d’exposition/installation regroupe des pièces produites pour l’occasion, sur commande- soit sous sa direction ou sa bénédiction. Il agit en cela à l’image du producteur hollywoodien vis-à-vis des scénaristes, des acteurs et du réalisateur-technicien (c’est l’appellation officielle du CNC par opposition à réalisateur-auteur).
En se révoltant Buren défend la politique des auteurs, alors qu’il devrait applaudir à la naissance d’une nouvelle catégorie artistique. D’un autre côté, le commissaire-auteur devrait totalement assumer son rôle qui le ramène ou le hisse, dans la hiérarchie du pouvoir propre à la sphère artistique, au niveau des artistes.

On assiste actuellement à la valse des étiquettes qui mène le débat : récemment Sophie Calle invite Buren comme commissaire à la Biennale de Venise, et là le paradoxe ce n’est pas qu’un artiste devienne commissaire mais bien que ce soit un autre artiste qui le désigne comme tel. Peu après, risquant la confusion avec l’institution, Hans-Ulrich Obrist et Stéphanie Moisdon exposent à leur tour, à la biennale de Lyon, non des artistes mais des commissaires. Le commissaire est un medium comme les autres.
« Commissaire de commissaires » est probablement le sommet de la hiérarchie dans le questionnement sur le medium qui reprend soudain de l’actualité. Le médiateur médiatisé par son médiateur même. Délégation, distanciation, renonciation, indétermination, surdétermination, on en finira plus de gloser sur ce qui trahit plus une mutation esthétique qu’une incapacité à traiter le sujet. On imagine bien néanmoins qu’il sera difficile d’aller plus loin dans cette direction au risque de faire disparaître, à force de la faire glisser, la raison même de toute cette agitation autoréflexive : l’œuvre (n’ayons pas peur des mots).
Et l’exposition, telle le couteau sans manche auquel il manque la lame, présentera un groupe de commissaires nus errant, coupe à la main, dans un cocktail interminable d’un vernissage-exposition visité par un public de commissaires en plein casting.

Une lame de fond vient de plus loin encore: celle qui considère que le matériau de la production, artistique, télévisuelle, médiatique n’est plus totalement contrôlé par l’auteur mais activé dans une situation écrite. La confusion vient de la fusion entre catégories, artiste/œuvre, commissaire/artiste dont on ne peut que se réjouir comme de toute transgression nouvelle pour peu que le jeu soit clair.
L’expression la plus médiatique de cette évolution est fournie par la téléréalité qui nous entretient dans l’idée que les spectateurs sont des acteurs d’une nature différente, à la fois meilleurs et bien pires, à l’autonomie certes incontrôlable mais pas réellement imprévisible. Les auteurs créent du contexte, font de la programmation, définissent les règles, le cadre. Les exemples se multiplient de l’effacement orchestré des frontières entre fiction et réalité dépassant les prophéties situationnistes les plus alarmistes. La fiction est construite sur la base d’un réel en kit auquel il manquerait des pièces, la guerre est un spectacle de news aux titres 3D virevoltants, les messages frappent les tours et les esprits au vingt heures et l’audimat se compte en cadavres.

Si les medias exacerbés par l’explosion des technologies de communication ont facilité les mutations et les permutations, c’est qu’il y a une attente derrière ce glissement. Si l’artiste ne peut plus se contenter de produire un objet achevé offert à l’appréciation de l’humanité pour l’éternité, il peut exposer le sujet en situation en croyant à la dimension éclairante de la mise en scène. Ce que je nomme parfois fusion critique.

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