Habillage ou langage
conférence La Cultura dell'Interattività, Milan, juin 1994
La
3D dans les systèmes interactifs
Habillage ou langage Pour des raisons
que l’on comprend aisément le jeu vidéo constitue un terrain
d’expérimentation privilégié pour l’intégration
des techniques issues de l’image de synthèse 3D dans les dispositifs
interactifs.
La 3D au service de l’habillage. Dans un premier
temps l’image de synthèse 3D, pré-calculée a pénétré
le monde des dispositifs interactifs par la grande porte, mais en restant
dans le hall d’entrée. En effet c’est l’habillage graphique des
jeux et des logiciels qui a intégré la 3D. Créant
une profondeur dans un espace généralement plat, les images
de synthèse 3D, animées, ont ajouté du spectaculaire
au menu. Cependant, la partie réellement interactive reste entièrement
2D. En effet pour chaque changement de choix et chaque changement de direction
il faudrait calculer en temps réel le décor et les éléments
animés.
Dans les jeux vidéo classiques, le décor constitue souvent une surface plane (simulant parfois une perspective cavalière, sans point de fuite. Cette surface glisse sous les éléments animés laissant entrevoir son prolongement supposé infini. C’est un plan sur lequel vont se déplacer les personnages et autres vaisseaux spatiaux. Ceux-ci sont constitués d’un enchaînement de représentations fixes reconstituant les positions clefs et les intervalles de l’animation des personnages (sprites). La 3D pour le décor fixe (au fond : la 3D). L’étape
suivante de l’intégration de l’image de synthèse dans le
jeu vidéo a été l’utilisation de représentation
3D pour les décors. Les personnages sont toujours constitués
d’un enchaînement de vues fixes prédéfinies (parfois
issues de prises de vues réelles) mais le décor a été
dessiné en 3D. La qualité de rendu de l’image tridimensionnelle
enrichi le résultat et le spectateur se sent alors plus impliqué
dans l’action. Cependant cette 3D là interdit le mouvement.
Avec l’augmentation en puissance des machines, l’introduction de mémoires plus importante, il devient possible d’engranger un nombre plus conséquent d’images fixes. Leur enchaînement permet ainsi de simuler une animation en temps réel et l’on passe parfois d’une séquence à l’autre, d’un lieu à l’autre en suivant un parcours tridimensionnel qui a été pré-calculé (Seventh Guest, Lost in Time ...). Cependant l’interaction avec le spectateur se limite au choix du lieu de destination et non à l’itinéraire proprement dit. Le spectateur se sent emporté - comme il le serait par une caméra cinématographique - d’un lieu à l’autre, il n’est pas maître de son déplacement. Décor et éléments 3D interactifs. L’évolution de la 3d dans les dispositifs interactifs ludiques ou didactiques passera probablement par l’animation 3D dite en « temps réel ». Ce que contient la mémoire de la machine, ce n’est plus un stock considérable d’images calculées mais ce sont des bases de données géométriques contenant toutes les informations nécessaires au calcul du décor et des éléments animés en temps réel. L’utilisateur est alors totalement maître de son déplacement. Ce qu’il choisit, ce n’est pas un acte simple ou une destination mais une direction et une vitesse avec la même liberté que celle que l’on trouve dans les dispositifs 2D. Ici, l’image tridimensionnelle sera calculée en fonction du point de vue de l’observateur qui peut choisir de revenir en arrière et ainsi de découvrir le dos du décor, chose impensable auparavant. L’espace d’évolution est cependant souvent limité (afin de limiter l’ampleur de la base de données). C’est souvent un labyrinthe ou un couloir (un circuit automobile est un couloir). L’espace intergalactique présente cependant l’avantage de pouvoir paraître infini et cependant limité en nombre d’éléments visible. Ces espaces sont le plus souvent constitués de boucles de durée différente dont la combinaison génère un nombre apparemment infini de situations. Qu’est-ce qui
limite le développement de décors 3D temps réel ?
La puissance des machines bien entendu ! Pour qu’un déplacement
dans un décor soit suffisamment fluide, il faut pouvoir calculer
un minimum de 6 à 8 images par seconde. Si l’on garde à l’esprit
que les superbes images 3d que nous admirons dans les habillages les plus
réussis peuvent prendre jusqu’à 1 heure de calcul sur des
machines très puissantes on comprend qu’il y ait un gros travail
d’optimisation à effectuer avant d’obtenir un résultat probant.
Ceci explique que les décors 3D temps réel que nous découvrons
dans les jeux les plus récents sont extrêmement simples sur
le plan de la géométrie : des pièces rectangulaires
aux murs plans, une route définie par quelques polygones... Les
textures viennent fort heureusement agrémenter un environnement
par trop géométrique. Ces images plaquées sur les
polygones simuleront le relief des pierres, briques, fenêtres etc..
Pour finir la gestion combinatoire d’un nombre limité de couleur
réduit sensiblement les temps de calcul (DOOM, INDY CAR...).
Pourquoi la 3D
exerce un tel pouvoir de fascination?
Un réalisme ambigu. La synthèse 3D apporte à l’image dessinée un réalisme d’une qualité toute particulière. Ce n’est pas lorsque le réalisme est total que la séduction est plus grande. Le travail de représentation est alors invisible mais, comme pour la tradition picturale du trompe-l’oeil lorsque le spectateur à constamment conscience qu’il est face à une image créée par l’homme. C’est un dessin dans lequel on peut plonger, changer de point de vue, faire évoluer forme et matière. L’extrême rigueur de la mise en perspective géométrique du sujet contribue à donner au résultat ce réalisme ambiguë qui rejoint celui que l’on obtient avec une photographie trop définie, trop nette, où l’on sent que notre oeil pourrait y déceler des détails que l’on ne percevrait pas d’où nous sommes. Avec l’image 3D, nous sommes à la fois dans le réel et dans la fiction. La convention de représentation qui lie le spectateur à l’image qui lui est présentée demande moins d’effort d’interprétation de sa part. Il accepte plus facilement la réalité de la scène comme il le ferait face à une image filmée. A la différence de l’image filmée il pourra dans certain cas redéfinir son parcours dans le décor représenté. A la différence de l’image dessinée, il trouvera là une richesse de matières, de textures et une rigueur perspective que celle-ci ne pourra jamais présenter en mouvement. Le cinéma d’animation le plus récent ne fait-il pas appel à la 3D pour animer ses décors complexes dont il limitait jusqu’à présent l’exploration au travelling latéral et au zoom. (Cf. La Belle et la Bête, Aladin ...). Le réalisme
qu’autorise l’image 3D n’est pas incontournable et c’est le plus souvent
parce qu’il permet de représenter l’impossible que l’on fait appel
à ces techniques. La qualité de rendu qui en résulte
permet néanmoins d’intégrer des personnages issus de prises
de vues réelles dans des décors qui supportent la confrontation.
Cette hybridation semble se développer contribuant ainsi à
faire évoluer le concept de fiction interactive.
La pseudo-immersion Ce qui contribue le plus fortement à la séduction de l’image de synthèse 3D sur l’utilisateur de dispositifs interactif est probablement la posture particulière dans laquelle celui-ci est placé face au champ d’action. Ceci bien plus encore lorsque l’on utilise un espace 3D temps réel. Si les dispositifs interactifs font encore rarement appel aux systèmes dits de réalité virtuelle, casques stéréoscopiques, gants interactifs à retour d’effort etc. ils mettent parfois l’utilisateur en situation de pseudo immersion. Face à l’écran, celui-ci peut choisir son parcours dans un espace tridimensionnel sur lequel il peut parfois agir. Il n’est pas physiquement dans la scène mais il peut y projeter librement son regard. Avec la souris ou le joy stick, ce que déplace le spectateur, ce n’est pas un pointeur, un curseur ou tout autre objet symbolique, mais c’est une caméra virtuelle. Celle-ci comporte des caractéristiques d’angle de champ et de cadre qui en font le parfait équivalent d’une caméra réelle dont elle ne conserve que les aspects positifs (pas de problème de profondeur de champs, de mise au point, de définition etc.). Dans cet univers synthétique le spectateur n’a pas le sentiment d’être plongé dans une autre réalité (même virtuelle), mais il se sent plutôt intégré à une fiction. Il est dans le film. Il est acteur agissant. Le cinéma
nous avait habitué à confondre notre regard avec celui de
la caméra dont le parcours avait été défini
une fois pour toute par l’auteur. Ici c’est le spectateur qui est en camera
subjective dans l’action. Il tient même couramment le premier rôle.
Cette approche de l’image tridimensionnel constitue un terrain privilégié
d’expérimentation en vue de la création de fictions interactives
dont on suppose qu’elles sont appelée à jouer un rôle
important dans le paysage culturel de demain.
Au delà du jeu : les espaces de représentation symboliques. Les histogrammes tridimensionnels intégrés comme une réalité virtuelle. L’utilisateur peut accéder à des données abstraites (financières, culturelles etc. ) considérées et représentées comme des objets. On savait déjà que, dans le domaine de l’ergonomie, la représentation analogique des données chiffrées était plus immédiatement lisible que la représentation numérique. (Cf. les postes de pilotages nécessitant des décisions rapides, avions de chasse ...) Paradoxalement,
la dématérialisation des supports de traitement de l’information
résultant de l’intrusion de l’informatique aura pour conséquence
la réification des données non matérielles. Le langage
articulé que nous connaissons ne constitue plus alors un passage
obligé pour la manipulation de l’information. On conçoit
aisément de traiter des entités financières par simple
manipulation d’icônes tridimensionnelles. L’accès aux bases
de données image texte peut de la même manière être
considéré comme un parcours physique dans un univers immatériel
(Cf. W. Gibson). Cette approche semble plus immédiate même
chez ceux pour qui l’écrit n’est pas une barrière. Nous faisons
appel alors à ce qui dans notre esprit est le plus proche du vécu
physique de l’action, fut elle intellectuelle.
Limites de la 3D dans les dispositifs interactifs. Complexité
de l’image 3D et perte de lisibilité
Structure logicielle
et constructions spatiales
LES QUARXS
En 1988 je concevais une série de films d’animation en image 3D, destinée à la télévision. Cette série, développée avec l’auteur de bande dessinées François SCHUITEN, présente l’état d’un obscur chercheur en cryptobiologie comparée. Sous forme de parodie de documentaire scientifiques nous découvrons l’existence de l’ELASTO FRAGMENTOPLAST, du SPATIO STRIATA, du MILLEFOLIO, du SPIRO THERMOPHAGE etc. Chaque nouvelle espèce de QUARXS apporte une explication, bien entendue complètement aberrante, de nos petits soucis quotidiens. Il arrive cependant que ces êtres défiant effrontément les lois de la nature soient suffisamment étranges pour qu’ils n’aient pas besoin d’expliquer quoi que ce soit. Il arrive même que certains tracas quotidiens ne soient pas expliqués par des QUARXS. A moins que notre chercheur ne soit pas encore allé assez loin dans ses recherches. Nous savons maintenant que l’Elasto fragmentoplast explique que l’on retrouve des objets mystérieusement cassés, que le Spiro Thermophage est à l’origine des robinets qui gouttent et que le Spatio striata n’existe qu’un centimètre sur deux. La première série diffusée en France sur CANAL PLUS pendant l’hiver 1993-94 passera sur FRANCE 3 à partir de novembre. Dans son soucis de ne rien laisser ignorer des avancées de la science, France 3 réalise un Vidéo C.D. pour la fin de l’année 1994. Pourquoi un Vidéo C.D. et non une cassette vidéo ? D’une part il s’agit d’une démarche expérimentale visant à tester la diffusion de séries courtes en VCD. La brièveté des épisodes, la durée des séquences d’introduction sans cesse répétées, la nécessité de pouvoir accéder à un épisode particulier sans faire défiler l’ensemble de la série; tout ceci justifie le choix de ce support. Une nouvelle voie s’ouvre donc à la diffusion de séries de courts qui ne trouve pas toujours de créneau dans les grilles de programme des chaînes. La série QUARXS est entièrement réalisée en 3D, aussi bien au niveau du décor que des personnages. Le concept de chaque bestiole est en soi suffisamment ludique pour inspirer une déclinaison en rapport avec l’univers des jeux vidéo. Ce bestiaire fantastique
permet d’envisager aussi bien une série de jeux, chacun consacré
à une bestiole différente, qu’un jeu plus scénarisé,
reconstituant l’ensemble de l’univers et faisant intervenir l’ensemble
des QUARXS existants et à venir dans une poursuite effrénée
de la petite bête et de la vérité scientifique.
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