| Les
enjeux des pratiques artistiques Fabrice
Bousteau : Je vous présente chacun des participants. Yves Michaud, philosophe,
qui vient récemment de publier un ouvrage dont on a déjà
beaucoup entendu parler : « La crise de l’art contemporain ». Dominique
Gauthier, peintre et également enseignant à l'Ecole d'art de Cergy-Pontoise.
Maurice Benayoun, artiste qui utilise les nouvelles technologies et qui est, également,
enseignant à Paris I et professeur invité à l'Ecole nationale
supérieure des Beaux-Arts de Paris. Antoine Perrot, artiste, qui remplace
Nathalie Elemento qui n'a pu malheureusement venir aujourd'hui, et qui est un
des organisateurs avec la Galerie du Haut-Pavé de ce forum. Le
thème est donc centré sur les enjeux des pratiques artistiques;
on peut entendre cet intitulé de multiples manières. Il part du
principe que les pratiques artistiques se sont multipliées, elles sont
plurielles, elles prennent des formes multiples allant, bien évidemment,
de la peinture à l'utilisation des nouvelles technologies, voire à
des artistes qui revendiquent la disparition de l'oeuvre, donc à des artistes
sans oeuvre. Cette pluralité pose un certain nombre de questions : à
qui ces oeuvres sont destinées? quels lieux ? quels publics ? Et je désire,
pour commencer le débat, faire réagir Yves Michaud sur les enjeux
de ces pratiques artistiques et d'avoir son regard de philosophe sur la situation
contemporaine des pratiques artistiques. Yves
Michaud: Je ne vais pas faire un long exposé, je vais, simplement, me borner
à baliser un peu le terrain de la discussion parce qu’effectivement, la
notion d'enjeu des pratiques artistiques est à la fois claire et complexe
: il s'agit de savoir ce qui s'y joue et ce qu'on peut y gagner et ce qu'on peut
y perdre aussi, quels sont les gains ou les pertes possibles dans la pratique
artistique. Je vais essayer de baliser, en quelque sorte, le terrain. Lorsqu'on
m'a proposé de participer à cette discussion, pour moi "enjeu" cela
voulait dire, d'abord, les enjeux en termes de diffusion et de réception.
Parce qu'effectivement l'art est destiné à un public, pas forcément
le public en général, ce qui ne veut rien dire, mais parce qu’il
y a des enjeux de réception. Le pluralisme de la création contemporaine,
dont vient de parler F. Bousteau, passe aussi par un pluralisme des publics et
passe, je dirais plus encore, par un pluralisme dans les canaux de diffusion.
Je pense que quelqu'un comme Benayoun qui fait de l'image de synthèse en
film ou en vidéo, ne passe pas par les mêmes canaux de diffusion
qu'un peintre comme D. Gauthier ou comme Antoine Perrot. Donc là, il y
a des enjeux de public et je dirais, ce n'est pas seulement une question de toucher
des cibles, comme on dit aujourd'hui, mais de savoir qu'est-ce qu'on fait avec
ce public? comment ce public va-t-il réagir à ce qui lui est adressé?
Alors, là, on touche, tout de suite, à des problèmes qui
sont très anciens et qui ont été, je pense, peut être
plus urgents autrefois que maintenant, des problèmes comme ceux de l'engagement
social de l'artiste, de l'effet de changement social que peut avoir l'art, de
la signification critique du message artistique. Il y a aussi d'autres enjeux,
je dirais, du côté de la réception, qui n'ont pas à
voir avec la critique: est-ce qu'on peut considérer que l'effet de la pratique
artistique est de divertir les gens, de leur faire passer des bons moments dans
une civilisation de loisirs? Est-ce qu'on peut considérer que c'est destiné
à leur donner tout simplement du plaisir, du plaisir esthétique
et quelle sorte de plaisir ? Donc je définirais, si vous voulez, déjà
tout un pan de la discussion en termes d'enjeux par rapport à un public,
en insistant sur le fait qu'il faut intégrer la question des canaux de
communication, dont, je pense qu’on parlera pas mal dans la suite de l'après-midi.
Un public aujourd'hui est indissociable de la manière de l’atteindre. L’art
est fait pour distraire, il est fait pour plaire probablement aussi (ce n'est
pas toujours le cas), il est fait pour changer les idées, faire changer
les visions des choses, il est fait pour critiquer. Une question qui, à
moi, me paraît extrêmement importante aujourd'hui c'est: qu'en est-il
du statut de l'oeuvre d'art et de la pratique artistique dans un monde qui produit,
je dirais à flots continus, de la réflexion sur lui-même,
de la critique de et sur lui-même ? Pour dire les choses très rapidement
: qu'en est-il de la pratique d'un artiste critique comme Dennis Adams par rapport
à la pratique publicitaire de Benetton? L'enjeu de la pratique artistique?
C'est peut être dit un peu brutalement mais c'est, il me semble, une des
questions à aborder aujourd'hui. Si
on laisse de côté cette question de la réception et du public,
qui est fondamentale, bien évidemment, les enjeux des pratiques artistiques
sont encore, à mon avis, à chercher dans deux autres directions.
Il y a d'abord un enjeu qui est celui qui concerne l'artiste: quel est l'enjeu
de sa pratique artistique pour un artiste? Et je dirais, compte tenu éventuellement
des réceptions et des effets que produit sa pratique, qu'est-ce que, à
lui, l'art apporte et enseigne? Quel type d'illusion est entretenu ou quel type
de désillusion? Quel type de lucidité est entraîné
par la pratique artistique dans son rapport à la pratique elle-même
et au public et à la réception par le public ? C'est le deuxième
terme dans cette question des enjeux, c'est l'enjeu pour l'artiste lui-même.
Je crois que, si l'on parle de l'art du point de vue de la réception, il
faut envisager, ensuite, comment cette réception agit à son tour
sur l'artiste? Comment elle fait effet sur l'artiste? Étant entendu que,
de toute manière, la pratique elle-même, dans le faire même,
a une efficience et des conséquences sur l'artiste, sa vision, ses idées,
ses conceptions, ses motivations. Et
puis, je dirais un troisième type d'enjeu, un troisième ordre d'enjeu,
cela serait l'enjeu des pratiques artistiques sur l'art lui-même. Parce
qu’après tout, un artiste n'est pas seul. Il est seul, en fait, quand il
travaille, mais il n'est pas seul dans l'art. Vous êtes une communauté,
il y a beaucoup d'artistes parmi vous, chacun a sa pratique mais chaque pratique
a des conséquence sur l'art et son évolution. Donc quels sont les
enjeux, cette fois-ci, des pratiques artistiques par rapport à l'art lui-même?
Et donc, en quelque sorte, je ne vais pas m'amuser à enfiler des paradoxes,
mais vous voyez bien que la boucle se boucle. J'ai commencé par parler
en termes de public et ensuite de réception; ensuite je parle de l'enjeu
pour l'individu créateur, j'utilise encore ce terme, et finalement quel
est l'enjeu pour l'art, je dirais, dans le milieu même de la culture, dans
le milieu même de la société en terme de société,
et de société politique? Donc, c'est beaucoup de sujets pour cette
après-midi, mais je pense que, à travers les expériences
personnelles des artistes, on doit pouvoir saisir très vite cette diversité
des enjeux et leurs interrelations. Je m'en tiens là, pour le moment, et
je préfère intervenir sur le concret des expériences, étant
entendu que pour ma part je ne suis pas artiste, sinon, peut être quand
j'écris, car j'ai quand même quelques intentions de ne pas trop mal
écrire, mais cela s'arrête là. Fabrice
Bousteau: Merci, Maurice Benayoun, vous êtes un artiste qui utilisez, qui
expérimentez les nouveaux médium, comment vous positionnez-vous
face aux trois axes qui pour Yves Michaud définissent les enjeux artistiques
: le public, l'artiste, l'art ? Maurice
Benayoun : Ma position est un peu particulière ici. J'ai assisté
au débat de ce matin et je me sentais particulièrement étranger;
particulièrement étranger, peut être parce qu'on enferme,
disons le type d'outil que j'utilise dans une espèce de ghetto au sein
des pratiques artistiques, qui fait que l'on débat constamment pour savoir
si c'est de l'art ou si ce n'est pas de l'art. C'est bien, aussi, de dire d'où
je parle. Je dois préciser que j'ai une formation de plasticien, je ne
suis pas informaticien. J'ai une sainte horreur des machines, ce qui m'intéresse
c'est le matériau, comment il modifie les pratiques? Je faisais il y a
quelques mois une intervention dont le titre était : " l'art soumis à
la question par les nouvelles technologies " Je crois que c'est un petit peu cela,
c'est à dire qu'il y a l'idée de questionnement et il y a l'idée
de torture. D'une certaine manière, à partir du moment où
on introduit un corps étranger, nous sommes dans une position douloureuse
vis à vis de l'organisme censé le recevoir. Tout le problème
est de savoir si cet organisme veut recevoir et si on tient absolument a ce qu'il
reçoive. L'organisme, en l'occurrence, c'est le milieu de l'art. On peut
se poser la question, évidemment, de savoir si une pratique est ou n'est
pas artistique, mais je crois que ce débat est assez vain. On a commencé
à répondre et à poser des questions ce matin, en tout cas
je vais essayer d'apporter mes réponses, tout à fait, dans le sens
qu'indiquait Yves Michaud, tout à l'heure, c'est à dire expliquer
ce que c'est pour moi que d'avoir une pratique artistique, sachant que je ne revendique
pas le label. Il
faut savoir que la plupart des choses que je fais sont des "choses" interactives,
ce ne sont pas des films et des vidéos, même si j'en ai fait un certain
nombre, comme le disait Yves Michaud, pas des choses enregistrées mais
des choses qui réagissent au public et qui se modifient en fonction du
comportement du public. A
partir de là, à partir du moment où c'est interactif - j'utilise
des techniques comme la réalité virtuelle, l'image de synthèse
en "temps réel"- j'ai tout de suite des réactions du type: "mais
ce n'est pas de l'art, c'est du jeu...". Face à cela il y avait une réaction
intéressante de Fargier dans le Monde disant que ce que je faisais était
de l'ordre du jeu vidéo métaphysique. Cela m'a amené à
m'interroger sur ce que pouvait être la place et la pertinence de la présence
du jeu dans la création artistique. J'en suis arrivé à formuler
une espèce de système qui me paraît expliquer, au moins, sous
un certain angle, qui n'est probablement pas le seul, la place de la pratique
artistique par rapport à l'ensemble des activités humaines. De façon
tout à fait naïve, et je revendique la naïveté de cette
approche, je considère qu'il y a, dans les activités humaines, un
certain nombre d'activités qui sont directement orientées vers la
survie immédiate. Ce sont des activités qui sont communes à
l'homme et au règne animal. Dans ces activités, il y a le fait de
se nourrir, de se protéger, de se reproduire. C'est simple et je crois
aussi que nous nous efforçons quotidiennement de répondre à
ces fonctions-là. Il
y a d'autres activités que l'on a estimé nécessaire de développer
avec le temps, qui sont, par exemple: la philosophie, la recherche scientifique
fondamentale, la théologie, tout ce qui cherche un petit peu à expliquer
le monde, tout ce qui cherche à trouver des réponses à des
questions que l'homme se pose et qu'il est probablement seul à se poser.
L'art rentre dans ces catégories là. Pour moi ces catégories-là
sont de l'ordre du jeu. C'est un jeu mais dans ce que le jeu a, probablement,
de plus noble, c'est à dire la nécessité de se produire des
objectifs atteignables mais que l'on peut constamment renouveler.
On
peut dire aussi qu'à partir du moment où on est doué de conscience,
il devient clair que notre vie n'a pas de finalité particulière.
Et si tout ce qui est lié à la survie ne nous suffit pas, s'il nous
reste du temps à occuper, à faire autre chose que de se nourrir,
se reproduire - ce qui est une activité tout à fait saine et parfois
agréable - et de se protéger, et bien on est amené à
trouver d'autres justifications, d'autres raisons à son existence. La réussite,
en tant que jeu qui consiste à aligner des cartes dans un certain ordre,
est probablement, une bonne façon de passer le temps, de donner une raison
d'être au temps que l'on passe, au temps que l'on vit. On se fixe là
un objectif que l'on atteint très rapidement ou que l'on atteint pas, mais
que l'on peut constamment renouveler. Un petit peu comme cette ligne d'horizon
qui est constamment repoussée, au fur et à mesure que l'on avance
vers elle. Par
rapport à ces autres terrains de jeux, que sont la philosophie la théologie
ou la recherche fondamentale en science qui consistent à se fixer des objectifs
non nécessaires mais néanmoins terriblement excitants et provisoirement
suffisants à nous donner une raison d'être... La particularité
du champ artistique, au moins durant le XXème siècle, c'est que
c'est un domaine où chaque pratiquant fixe ses propres règles du
jeu. Et je dirais même plus, d'une certaine manière, c'est l'art
de fixer les règles qui est devenu la règle en elle-même.
Ce qui fait
l'excellence du travail d'un artiste, c'est sa manière de définir
les règles de son propre jeu. Après cela, il est encore meilleur,
probablement, s'il est le meilleur à mettre en oeuvres ses règles
et qu'il va le plus loin possible dans la direction qu'il s'est fixée.
Ce que pratique le monde de l'art, s'il fait bien son job, c'est probablement
l'identification des règles, la validation de leur pertinence, d'une façon
qui sera nécessairement remise en cause. Le
point de vue que je donne, c'est le point de vue de l'individu, de celui qui cherche
à justifier son activité par rapport à un ensemble d'autres
activités dont on nous dit toujours qu'elles sont plus ou moins nécessaires.
Cela pour expliquer pourquoi Il y a, à mon sens une, certaine forme de
pertinence dans le fait d'introduire l'interactivité qui dénonce
(dans le sens de révéler) le caractère ludique d'une pratique
que l'on qualifie d'artistique. A
partir de là, on peut se demander quelle est la raison d'être des
faits pratiques? Une fois qu'on a compris qu'on définissait les règles,
on peut se demander ce que l'on veut dire avec ces règles ? Est-ce qu'il
y aurait, par hasard dans tout cela, une finalité quelconque? Tout à
l'heure, pour passer le temps, j'ai mis sur papier une formule. Je me disais qu’un
objectif possible de la création artistique pourrait être la mise
en scène du monde, en tant que système de symboles en action, je
dis bien en action, parce que, en action, c'est peut être ce qui explique
que nous assistions actuellement à une évolution, à une mutation
des productions symboliques; quelque chose qui inéluctablement remet en
cause les habitudes à l'intérieur des pratiques artistiques, des
choses, qui découlent du fait que trop souvent on sente une sorte d'épuisement
qui justifie constamment un débat plus ou moins vain, plus ou moins agréable,
plus ou moins nerveux, plus ou moins explosif. Mais peut être que l'enjeu
est ailleurs, peut être que les systèmes, les territoires et les
mondes, dont nous parlons, c'est à dire le monde de l'art, le milieu des
galeries, le jeu des intermédiaires, les musées, les lieux d'exposition,
tout cela est en train de changer. Dans l'échelle de ces mutations, il
n’y a pas de hiérarchie. Il n’y a pas, je crois, de système de remplacement
mais il y a d'autres systèmes qui se mettent en place, qui, probablement,
vont nous conduire à nous interroger sur la pertinence des systèmes
précédents, et qui probablement, vont s'installer dans un système
parallèle. Ce
matin a été évoqué, par un des intervenants dans la
salle, l'existence d'Internet. L'air de rien, effectivement, donner la possibilité
à chacun d'être publié, à la face de la planète,
instantanément, et avec des moyens limités, c'est quelque chose
de nouveau, c'est quelque chose qui n'existait pas. Si je produis une image, elle
peut exister tout de suite pour des millions de personnes, je n'ai pas besoin
de chercher un éditeur, je peux faire cela de chez moi. C'est simple, c'est
beaucoup moins compliqué qu'on veut nous le faire croire. Et si vous ne
savez pas le faire chez vous, vous allez le faire ailleurs. Il ne s'agit pas d'idéaliser
un système mais il existe. Il existe maintenant des systèmes de
communication qui donnent un autre statu à la relation production/réception.
Mais là,
nous parlons de montrer des images. Il y a une autre mutation, qui est importante
et qui est pour moi assez déterminante et qui correspond à une évolution
dans l'ordre des systèmes de représentations, qui nous a fait passer
progressivement d'un point de vue unique, qui est celui qui était défini
durant la Renaissance par les systèmes perspectivistes que vous connaissez,
à un point de vue mouvant, qui est celui que nous avons probablement exploré,
d'une manière ou d'une autre, à travers le cinéma, jusqu'à
un point de vue qui est celui, libre (sans connotation positiviste), autonome,
de l'observateur qui peut, à l'intérieur d'un monde qu'on lui donne
à explorer, choisir constamment de regarder ailleurs. Il est là
dans une place qui est définitivement unique, que personne ne pourra partager
avec lui. Ce qui est intéressant dans cette différence là,
c'est que le monde, qu'on donne à observer à ce public là,
c'est un monde qui a été défini par l'homme. Ce n'est pas
très nouveau dans la peinture. On sait très bien qu'on donne un
monde de symboles assemblés à regarder, à observer, à
interpréter, et que le parcours du regard, d'ailleurs, à l'intérieur
de ce monde est un parcours qui a sa propre autonomie, mais selon finalement un
système, une organisation qui est totalement définie par un individu.
La particularité de ces mondes, de ceux que l'on appelle "les mondes virtuels",
je dirais même de nombre de systèmes interactifs, leur particularité
c'est que le travail de l'auteur n'est plus le même. L'auteur, ce n'est
plus celui qui définit une image, même s'il en définit la
composition avec une complexité croissante, c'est celui qui définit
les règles d'apparition de cette image, c'est celui qui définit
les lois qui vont déterminer l'apparition des images que chacun va pouvoir
révéler en projetant son regard. Il y a là quelque chose
de sensiblement différent. Le monde de représentations qui vient
à nous, qui devient possible comme ceci, est un monde de représentations
qui n'est pas sans rapport avec le monde qui nous entoure. Dans le réel
nous avons une existence relativement autonome, ce réel nous modifie constamment
et nous le modifions par notre présence. Dans ces représentations
là, dans ce monde de représentations, nous sommes face à
un monde parlant, à un monde de significations, qui réagit à
notre présence. Sa façon de réagir, sa façon de se
modifier par notre présence, c'est le message probablement que l'auteur
tente de faire passer. Il
y a une vraie difficulté à produire une écriture qui prenne
en compte cela, une vraie difficulté pour les milieux artistiques à
comprendre, à interpréter, à créer ses propres outils
d'analyse pour l'intégrer. Faut-il qu'il l'intègre ? je ne le sais
pas. Faut-il
qu'il le comprenne? Probablement. Parce que, si il ne le comprenait pas, eh bien
il se trouverait écarté, finalement, de quelque chose qui à
l'air d'être marginal et minoritaire mais qui va progressivement devenir
un des moyens forts d'expression, comme le cinéma a envahi notre vie, comme
la télévision a probablement changé les notre perception
du monde, avec des oeuvres de inégales, dans certains cas des applications
commerciales, dans d'autres cas des créations porteuses de sens comme on
essaye de le faire sur d'autres supports. Fabrice
Bousteau: Merci. Dominique Gauthier, pour reprendre les termes de Maurice Benayoun,
est-ce que vous, qui êtes peintre, vous définissez également
des règles? Est-ce que les systèmes de production et de diffusion
vous semblent pertinents, aujourd'hui, par rapport au médium que vous utilisez?
Dominique
Gauthier: Tout
d'abord l'art a beaucoup à voir avec le silence. Par rapport à la
situation actuelle, il est évident que la communication intervient dans
le champ de l'art avec une grande autorité. C’est peut être ici qu’il
faut situer une problématique du recul, ou du moins, du ralentissement
de la pertinence de la peinture à toucher le monde et à agir sur
le monde. En ce qui me concerne, je peins depuis une vingtaine d'années,
c'est un choix volontaire et délibéré, c'est un choix qui
enregistre un certain rapport au temps et au temps de l'actualité de l'apparition
du tableau, donc de la vision de la peinture. C'est aussi considérer que
la peinture s'autorise et affirme une certain distance avec ce temps réel.
Le mode de jugement, dans toutes ces rencontres, fait acte, c'est à dire
le jugement sur l'art contemporain, intervient à un moment où l'oeuvre
se situe dans un réseau de communication légiféré
par sa compréhension immédiate. La particularité et la détermination
à produire de la peinture, sous entend que sa communication n'est pas du
même ordre. Elle peut être volontairement opposée à
cette immédiateté de la compréhension. D'une
autre façon, un peintre agit avec une histoire longue, et je trouve que
la difficulté à agir en tant que peintre est largement compensée,
à notre époque, à la fin de la modernité, pour dire
les choses très rapidement, très simplement, par quelque chose qui
représente un atout considérable, à savoir le stock. C'est
une affaire embarrasante parce quelle engendre du poids et, en même temps,
c'est une affaire assez stimulante parce qu'elle situe bien une possibilité
de changer les modes de vision. Les grands moments de la peinture, historiquement,
sont toujours de nouvelles propositions pour cette vision. Un acte de peintre
est un acte qui enregistre de l'histoire, de la connaissance, un savoir, souvent
un savoir critique, bien que je pense que le savoir critique et l'usage de ce
savoir critique a largement débordé dans cette prérogative
d'intérêt. Actuellement je pourrais plutôt préférer
des situations de productivité à des situations critiques bien que
la peinture et mon expérience aient pu largement profiter d'une dimension
critique, d'un héritage critique. Ce
que je voulais dire, d'une façon assez claire: c'est qu'il y a en peinture
une aventure de la solitude, une aventure de la création, une aventure
de la vision et un rendez-vous avec quelque chose qui serait une apparition. Cette
apparition, cette nouvelle image, une image possible, compte tenu du fait quelle
procède par accumulation, stockage et héritage, a toutes les chances
de mettre un certain temps, à la fois dans la dimension de la pratique,
la pratique spécifique de l'acteur peintre, et en même temps un certain
temps à pénétrer la réalité d'une actualité.
Cette difficulté là me semble être une très bonne condition
pour l'activité spécifique de la peinture, je ne souffre pas particulièrement
des difficultés à rendre publique une oeuvre. Les conditions se
sont répétées à différent moment de l'histoire
de la peinture. Certaines oeuvres sont passées par des moments d'absolue
invisibilité, d'autres ont été très visibles et se
sont avérées d'une certaine manière fugaces et ont disparu,
d'autres réémergent. L'aventure de la peinture suppose cette réalité
floue, souple et souterraine qui ne pose pas de problème majeur à
partir du moment où on l'accepte. Donc, qu'est-ce que peut faire un peintre
par rapport à un moment donné, par rapport à cette proposition,
à cette offre de vision ? Il doit considérer, à la fois,
la pertinence de sa réaction à la connaissance et, en même
temps, il doit profiter d'une certaine condition de visibilité, à
savoir l'exposition, voire l'exhibition de l'oeuvre et enregistrer, au plus possible,
l'incidence, finalement, de ses propositions. Je crois, d'une certaine manière,
qu'il ne doit pas en tenir trop compte. Il doit considérer, à la
fois, la réponse qui lui est proposée à chaque exposition
d'oeuvres et, peut être, se mettre dans une situation de confirmation de
son intention d'engagement, qui est, à mon sens, un engagement sur une
très longue durée et que j'appellerait une oeuvre. Je n'ai pas,
trop envie, de dire beaucoup de choses, parce que l'expérience de l'oeuvre,
de la peinture, se passe dans une certaine intimité, en tout cas, dans
l'intimité d'une vision, quelque soit l'espace public dans lequel l'oeuvre
est présentée, un certain silence est obligatoire. La connaissance
et l'appréciation de la peinture passent, obligatoirement, par ce silence
et l'engagement du peintre. En tout cas, mon engagement est irréductible
à la dimension de l'oeuvre, c'est à dire à la dimension de
l'oeuvre finie, qui n'est pas obligée de se dérouler avec tout son
mode d'explication ou de communication, comme je le disais tout à l'heure,
et qui permet aussi au peintre de se désolidariser de sa signature.
Pour
être très, très simple et presque schématique, je crois
répondre véritablement à la question. La meilleure façon
d'engager cet enjeu, par rapport à la cité, par rapport à
l'actualité et par rapport au fait public, c'est de proposer simplement
une oeuvre et de savoir qu’elle va être appréhendée, appréciée,
comprise, avec indépendance, hors de ma propre volonté.
Fabrice
Bousteau: Antoine Perrot, vous êtes aussi peintre, comment réagissez-vous?
Antoine
Perrot : Je
ne vais pas reprendre ce que vient de dire Dominique qui me touche profondément.
Je crois qu'il a parfaitement défini la position que l'on peut avoir en
tant que peintre, entre durée et retrait, activité, silence et avènement
de l’œuvre. La deuxième chose que je tiens à préciser
: je suis en état de suppléance, en quelque sorte, puisque je remplace
au pied levé Nathalie Elemento, hospitalisée, et je vous prie de
m’excuser si je suis un peu confus. Je voudrai seulement attirer l’attention sur
quelques points et je poserai plutôt des questions qui, en tant qu’artiste,
me préoccupent et auxquelles je ne sais pas forcément répondre.
J’exprimerai
une réflexion personnelle et une crainte de ce que j’appellerai l’affaiblissement
des enjeux des pratiques artistiques. Affaiblissement dans l’instantanéité
que revendiquent les nouvelles pratiques et affaiblissement pour se conformer
à une médiatisation de plus en plus dominante. Soit deux attitudes
adoptées ou acceptées par les artistes qui tendent à affaiblir
les enjeux des pratiques artistiques. Je
m’explique : il y a un mot qui revient beaucoup dans le discours des artistes
et des critiques, moi-même j’ai tendance à l’employer , c’est «
l’expérimentation ». L’artiste expérimente. Je différencierai
cette expérimentation de l’expérience à laquelle, de tout
temps, l’œuvre invite. Ce que je désire souligner ici, c’est que l’emploi
de ce nouveau terme d'expérimentation est une manière de dire que
chaque oeuvre qui est présentée ne tend plus à être
la proposition globale qu’elle était autrefois. L'artiste laisse porter
l'œuvre, en quelque sorte, par le spectateur, ce qui est encore assez classique.
Mais dans ce jeu d'expérimentation surgit un nouveau mode d’approche où
le spectateur est appelé non seulement à participer mais à
valider l’œuvre. En poussant d’une manière caricaturale, on peut se demander
devant cette délégation au spectateur de la validation, si l’artiste
ne construit pas un nouveau produit dont l’enjeu est de répondre à
une demande. S’il n’y a pas une dérive dans une recherche étonnante
de l’adéquation de l’offre et de la demande. Cette
question de la validation de l’œuvre est, je crois, centrale. C’est sans doute
un problème de réception mais beaucoup plus, un problème
d'enjeu des pratiques. Ici je vais, peut être, croiser les chemins qu’Yves
Michaud dessine dans son dernier ouvrage. et explique beaucoup mieux que je ne
pourrais le faire. Au moment où, effectivement, on avance vers une démocratie
radicale, où chaque citoyen peut prendre la parole sur chaque sujet et
donc dire ce qu'il pense de chaque œuvre, même s’il n'est pas a priori cet
initié qui sait parler à sa place, les artistes donnent l'impression
qu’ils s'ajustent à cette démocratie radicale. Et je distinguerai
deux sortes d’attitudes, qui esquissent soit les réponses, soit le contournement
de cette réception de plus en plus ouverte. La question que je poserai,
que je me pose, est : quelle espace reste-t-il entre ces deux pôles pour
certaines pratiques et plus particulièrement la mienne, celle du peintre
? D’un
côté, si vous voulez, il y a l’artiste qui travaille sur un champ
que j’appellerai, gentiment, l’info-communication. Qu’est-ce qu’une pratique artistique
qui touche l’info-communication ? Quelles sont ces limites ? Je la définirai,
comme je disais précédemment, par une pratique qui recherche sa
validation dans la réception instantanée du spectateur. Cela peut
être mis en œuvre par la provocation ou encore par la participation qui
dispose de deux outils, le caractère ludique de l’œuvre et la proximité
avec le spectateur. Dans l’un ou l’autre cas, le dispositif choisi place le spectateur
dans l’obligation de répondre à l’œuvre. Dans la participation,
l’œuvre tend à englober le spectateur, demande son adhésion et finalement
le coupe de toute véritable communication avec le monde environnant, avec
le réel, puisqu’il est ailleurs, ailleurs dans l’œuvre. On peut se demander
si l’artiste dans ce processus n’abandonne pas ses responsabilités. Je
veux dire s’il ne tend pas, peut-être sans le savoir, à contrôler
le spectateur, à l’asservir par une adhésion fascinée
ou ludique puisqu'il ne lui laisse aucun recul et certainement pas ce temps long,
dont parlait Dominique Gauthier, où se construisent le face à face
avec l'œuvre, le regard critique, le temps de la réflexion et celui du
plaisir ou du déplaisir. Ce qui me semble critiquable est cet espèce
de mythe de la participation de tous à tout, qui conduit à vouloir
l’adhésion la plus large. Et, je crains que beaucoup d'artistes s'engouffrent
dans ces pratiques parce que, d'une certaine manière, la tendance institutionnelle
et celle du marché préfèrent le ludique et le regard rapide,
le zapping, cet équilibre parfait de l’offre et la demande. On peut s’interroger
aussi sur les œuvres qui empruntent leurs dispositifs à la société
de consommation, comme cela a été évoqué dans le premier
débat. Quel contenu critique portent-elles, ou quelle sacralisation du
monde économique et marchand entretiennent-elles, peut-être sans
s’en douter ? Je
crois qu’on est en droit de poser ces questions un peu critiques, qu’on entend
peu. Elles se retrouvent inverser dans l’autre cas de figure dont je vais parler
maintenant. De l'autre côté donc, et c'est bien malheureux pour nous,
on est confronté à l'image de quelques artistes qui ont une pratique
que je dirais plus traditionnelle, des peintres, mais qui sont médiatisés
comme des sortes de démiurges, des artistes encore romantiques. Je
prendrai un exemple très simple, c'est l'exemple de Baselitz, dont il y
a eu récemment, une grande exposition et qui nous a été présenté,
dans la presse, sous un portrait absolument effrayant, quand on y est attentif
: le château moyenâgeux, les collections, la richesse, la solitude
dans une tour d’ivoire luxueuse, solitude à laquelle on ne peut pas croire
un instant quand on sait combien elle peut empêcher une carrière,
et enfin le portrait de l’artiste en figure de violence. Violence qui fait œuvre
selon le vieux cliché qui implique que l'artiste violente des matériaux.
Cette image rejoint un autre mythe de l’artiste, elle est porteuse médiatiquement.
Et dans cette médiatisation de l'artiste violent qui asservit des matériaux,
il y a tout le danger que, non pas Yves Michaud, mais cette fois-ci Eric Michaud
a montré, dans un livre, L'art de l'éternité, où il
établit clairement le parallèle de l’artiste et de l'homme politique
qui modèle aussi un matériau, mais un matériau humain, les
masses, avec les dérives totalitaires que l’on sait. On se retrouve ici
coincé dans un ancien mythe et on peut se demander quelle est la place
du spectateur pris entre le mythe de la participation et celui du démiurge
? Je
voudrais, à ce propos, lire un extrait d'un entretien de Baselitz qui a
été publié dans le journal Le Monde en 1994. A ma grande
surprise, cet entretien n’a pas provoqué de réaction ou d’interrogation.
Voilà ce que dit Baselitz à propos d'une de ses oeuvres qui a provoqué
un débat relativement violent. C'est un tableau, représentant une
crucifixion, qu'il avait donné à un temple, dont le pasteur, à
la suite de ce don, a reçu des menaces de mort. Baselitz dit à propos
de cela : « Voilà la société allemande, dépourvue
de structurse et d'autorités, une démocratie totale - de moins
en moins cultivée… Il n’y a plus ni princse de l'Eglise, ni princes de
sang, ni hiérarchise, ni pouvoirs de décision. Même dans l'Eglise
- antidémocratique cependant par essence - tout le monde a son mot
à dire, chaque fidèle. Aujourd'hui, avec un tel système,
Michel-Ange serait interdit de Sixtine. L'art officiel est extrêmement médiocre
[…] Je n'ai jamais reçu de commande officielle […] Le système démocratique
est dangereux pour l'art. » Je
pense que dans ces mots est évoqué un grave problème . Baselitz
ne récuse pas sa panoplie d’artiste démiurge, ni même celle,
au besoin, d’artiste maudit (« je n’ai jamais reçu de commande »
), ce qui peut faire rire tout le monde. Et ayant endossé ce sinistre costume,
il illustre parfaitement un art qui se veut élitiste, un art qui n’est
pas / plus capable de se confronter à son environnement contemporain. Un
art qui s’affronte à l’idée d’une démocratie totale. La question
est donc bien : dans une société démocratique, quelle peut-être
la figure de l’artiste ? Quelles pratiques, l’artiste met en jeu? Est-ce qu'il
est amené à se plaindre et à prendre des positions relativement
réactionnaires comme celles de Baselitz, quitte même à pousser
la dérive jusqu’au scandaleux. Car avant l’extrait que je vous ai lu, Baselitz
dit ceci, je cite: « Hitler était aussi un artiste… mais il a quitté
son atelier. ». J’ouvrirai juste une parenthèse à ce propos
sur la dérive également des médias, qui a force d’être
pris au piège d’une culture people, c’est à dire participative,
fascinés par les mythes et incapables d’évaluation, peuvent laisser
passer ce genre de discours sans questionner plus avant, sans se troubler, sans
analyser. Mais aussi, sur le milieu de l’art, qui l’accepte également,
sans réaction, comme si la moindre interrogation sur, par exemple, la proximité
de l’œuvre de Baselitz et de son discours, risquait de tuer un marché.
Pour revenir
à mon propos, la question que je pose est : quel espace possible peut-il
y avoir pour une pratique artistique et sa réception, entre l’illusion
du tout participatif et l’affirmation de l’artiste démiurge ? Je crois
que Dominique Gauthier a bien esquissé une part de réponse à
cette question. Maurice
Benayoun : Je
pense qu'il est nécessaire que je réponde, un petit peu, à
ce que disait Antoine Perrot, juste à l'instant, par rapport à différents
malentendus, notamment. Le terme, par exemple, d'info-communication, il me semble
que cela doit me concerner et concerner certains individus qui ont des pratiques
douteuses, un petit peu, dans le style de la mienne. Je suis un peu gêné
parce que je ne sais pas exactement ce que cela recouvre. "Communication", et
bien, on ne peut pas dire que l'art soit dénué de toute forme de
communication. Ce serait intéressant à affirmer, je sais que certains
l'on dit. Paik a dit: "l'art n'a rien à voir avec la communication" et
d'autres l'ont développé très longuement, mais, néanmoins,
ce n'est pas complètement sans rapport, et, visiblement, on opère
une confusion des outils, C'est un petit peu comme si on disait finalement: "artiste-peintre
et peintre en bâtiment même combat !". Il me semble, quand même,
qu'on peut considérer que les mêmes outils peuvent être utilisés
de manière différente. En ce qui concerne l'absence de distance,
de recul, le fait qu'on soit complètement absorbé par des choses
et qu'on n'ait aucun recul critique et qu'on soit complètement vidé,
finalement, de son autonomie et du temps, une espèce de zapping permanent
qui serait associé à l'utilisation de certains outils, je voudrais
juste signaler une chose : lorsque j'ai présenté le "Tunnel sous
l'Atlantique" entre le centre Pompidou et le musée d'art contemporain de
Montréal, pendant une semaine, les gens venaient à peu près
entre une demi-heure et 2 heures par jour et revenaient tous les jours pour voir
comment cela évoluait, pas forcément pour agir, certains ne touchaient
à rien, ils voulaient voir la chose évoluer, cela ne zappait pas
dans tous les sens ! Ils voulaient absolument être Ià. J'ai rarement
vu des gens de tous âges, c'est à dire entre 7 et 77 ans, venir,
comme cela, régulièrement dans une exposition d'art contemporain
pour regarder plus longuement une image, pour avoir encore plus de recul, pour
regarder plus longuement une installation, pour mieux la comprendre et pour pouvoir
en faire une interprétation plus distanciée encore. Cela ne me paraît
pas si simple, je crois qu'il faut éviter de réduire et de diaboliser
finalement ni les outils ni les individus. Fabrice
Bousteau: Yves Michaud, sans vouloir se lancer dans la querelle des médium,
vous voulez intervenir? Yves
Michaud : Oui,
c'est là dessus que je veux intervenir car, à mon sens, Benayoun
a le côté hypersensible des gens qui sont dans de nouveaux domaines,
mais je ne crois pas qu’il était particulièrement visé dans
cette affaire là. Ce n’est pas parce que tu utilises des médias
qui ont à voir avec l'information et la communication que, immédiatement,
tu es dans ce système là. Tu as bien dit que tu faisais des oeuvres
interactives, que tu les montrais dans les musées. Moi, j'avais fait dans
mon intervention allusion au fait que cela avait été produit avec
Canal Plus, et, personnellement, je dirais qu’il n'y a pas à en avoir honte.
Parce que, justement, il y a un certain type de diffusion, de visée du
public qui passe par des nouveaux canaux, qui ne sont pas forcément Internet
d'ailleurs. Personnellement une des choses que je n'aime pas dans la vidéo
expérimentale, c'est qu'il faut aller la voir dans des musées, et
j'aimerai bien la voir sur certaines chaînes de télévision
câblées, je pense qu'il y aurait la place pour y voir des vidéos
expérimentales. Moi, cela me barbe de descendre au 2ème sous-sol,
de demander à une ouvreuse de me passer une vidéo. Il y a tellement
de chaînes de télé, on ne voit pas pourquoi elles ne passeraient
pas aussi de la vidéo expérimentale. Je suis tout à fait
d'accord avec ce qu'ont dit Gauthier et Perrot, mais il y a une question que je
voudrai poser à Benayoun : tu as dit, à la fin de ton intervention
: "l’auteur c'est celui qui définit les cycles, les règles d'apparition
des images". Ca c'est l'auteur Benayoun, mais dans des médias qui sont
aussi contraignants que ceux que tu pratiques, qu'est-ce que tu fais de ceux qui
définissent les méta-règles d'apparition des images, je veux
dire les producteurs de logiciels, les producteurs d'instruments ? Est-ce que
finalement l'auteur suprême n'est pas le président de Microsoft,
d'une certaine manière par rapport à cela ? C'est
une chose qui compte parce qu’on le voit très bien dans une école
d'art. On voit, très bien, que les élèves qui pratiquent
les nouvelles technologies, commencent à les pratiquer en essayant d'être
auteurs au sein de systèmes qui sont peut être plus contraignants
que l'aquarelle, la peinture à l'huile ou le dessin au fusain. Le médium
pèse énormément. Alors, comment te situes-tu, toi, en tant
qu'auteur, justement? Cela te permettra, peut être, de sortir du problème
de l'info-communication, comme auteur par rapport à un méta-auteur,
en quelque sorte. M.
Benayoun : Effectivement, je suis dans une position un peu particulière
parce que à chaque fois que je fais une nouvelle création, je développe
ou je fais développer entièrement le logiciel, donc, déjà,
le méta-auteur, il n'existe pas vraiment, on le crée en fonction
de ma demande. Le problème se pose effectivement. Pour prendre des exemples
très précis: la plupart des CD Roms sont fait avec les mêmes
outils-auteurs, on dit programmes-auteurs, logiciels-auteurs, d'ailleurs l'expression
parle d'elle-même. Je crois que là c'est un vrai problème,
car il est très difficile de sortir des clichés, des stéréotypes
d'enchaînement, par exemple, avec des modes de fondus particuliers etc…
On retrouve les mêmes un peu partout. Il est très difficile d'en
sortir. Donc je crois qu'il y a une phase nécessaire où, finalement,
l'outil a des limites, un peu rustiques, et chacun essaye de composer avec, et
on sait très bien, que les limites ne sont pas forcément un gros
handicap pour la création. Des fois cela oblige à aller beaucoup
plus loin dans une direction, mais il est certain qu'il reste des traces. De même
qu'au début de ce qu'on a appelé vidéo de création
on voyait des clichés formels parce que les machines permettaient certains
effets donc on retrouvait ces effets. Eh bien, de la même manière,
je pense qu'il y a ceux qui arrivent à s'en dégager, qui évitent
les effets faciles et qui se préoccupent surtout de ce qu'ils ont à
dire et ceux, simplement, qui font une espèce de superdémonstration
des possibilités de l'engin. Je crois qu'on a appris à faire la
différence. Antoine
Perrot : Oui,
mais il y a aussi le problème de la réception. Dans les enjeux des
pratiques artistiques, il y a le processus créateur et je ne crois pas
que, même si « l'utopie de l'art est terminée », je cite,
le créateur pense bidouiller dans son atelier ou dans un autre lieu quelques
propositions dont la réception n'arriverait jamais. J’aimerais donc poser
à Maurice Benayoun la question: quel est le rapport dans les nouveaux médias
avec le spectateur ? La place de ce dernier est rarement défini, on lui
présente une proposition relativement ludique, et d’ailleurs pourquoi pas,
mais il s’y retrouve englobé. Il y est englobé comme quelqu'un qui
va, soi-disant, être en interactivité, alors que l'interactivité
actuellement, c’est une évidence, est une illusion. En fait le spectateur
est guidé, si ce n’est hypnotisé, et cela pose un énorme
problème de réception. Maurice
Benayoun : Je voudrais répondre à cela qui m'est directement destiné.
L'idée que le spectateur est englobé n'est pas tout à fait
juste, et d'ailleurs je n'utilise pas personnellement les outils type casque de
réalité virtuelle et tout cela parce que je trouve qu'on n'est pas
à l'aise, et je pense qu'il faut qu'on soit aussi à l'aise que dans
le monde réel, donc, le plus souvent j'évite de les utiliser. L'image
est autour. Néanmoins, effectivement, on a le sentiment d'immersion. Quand
je plonge dans la piscine, je n'ai pas l'impression d'être manipulé
par la piscine, par contre je suis obligé de prendre en compte les lois
de l'eau, les lois de la flottabilité, des choses comme cela, et, d'une
certaine manière, j'apprends aussi sur la piscine, j'apprends sur l'eau
en faisant cela et puis s'il y a des poissons, s'il y a des êtres vivants
dans cette piscine, dans ce bassin, il y aura une forme d'interaction avec eux.
Est-ce qu'ils me manipulent, est-ce que je les découvre? Je ne sais pas.
La différence avec un monde créé par un individu, tout cela
avec tous les guillemets que vous voulez - ce propos peut apparaître complètement
mégalomane, mais d'un autre côté, c'est un petit peu ça,
c'est un monde symbolique, c'est un monde de représentation. Donc, pourquoi
pas? La différence avec un monde comme cela c'est que ce monde là
il est composé de telle manière que ses règles sont porteuses
de sens, donc que le fait de l'explorer, de le découvrir, c'est comprendre
le message. Chercher à comprendre? Evidemment, notre monde, lui aussi,
il est à explorer. On a aussi des tas de choses à découvrir,
mais rarement la finalité. Dans un monde de représentations, on
peut avoir à découvrir ce que l'autre a voulu nous dire, donc on
n'est pas englobé. Dans certains cas on n'est pas manipulé dans
la mesure où on a, par rapport aux règles définies, une liberté
relativement grande, comme dans notre monde réel. Là, on peut se
déplacer d'une certaine manière, on peut pas voler sans outil, c'est
vrai, on a cette limite là, mais on a d'autres libertés et c'est
le jeu entre ces limites et ces libertés qui fait que notre monde s'apprécie
d'une certaine manière. C'est un nouveau mode de dialogue, un nouveau mode
de communication. En ce qui concerne l'aspect ludique, je croyais avoir été
clair, tout à l'heure, sur le fait que je lui donnais une autre dimension
et que ce n'était pas, pour moi, forcément quelque chose de réducteur
et de négatif qui ramènerait à l'enfance par exemple, encore
que l'enfance... le plaisir surtout... si cela pouvait ramener au plaisir ce serait
quand même une bonne chose. Une
intervenante : Je
remercie Dominique Gauthier d'avoir dit ce que j'aurai aimé dire. Mais
par contre à propos de ce que disait Maurice Benayoun, je pense qu'il y
a une différence entre le créateur, l'artiste et le technocrate.
Je ne dis pas que vous êtes un technocrate. On peut utiliser des nouveaux
matériaux, de nouveaux médiums sans être technocrate, mais
en science c'est pareil. Il y a des créateurs en science et il y a des
technocrates. Je vais prendre un exemple très rapide, la dimension fractale
qui est très à la mode. Mandelbrot, quand il prend ses ordinateurs
et qu'il fait des images sur ordinateur pour faire quelque chose de joli, comme
de la décoration, c'est de la technocratie. Par contre, le physicien qui
arrivera à me dire comment cela se fait qu'un flocon de neige, dans les
turbulences du vent avec tout ce qui se passe dans la nature, arrive, finalement,
à avoir toujours la même structure, là se serait un créateur.
Il y a des physiciens qui sont voués à cela, dans leur petits laboratoires,
qui étudient le chaos et qui n'ont pas besoin d'ordinateur pour trouver
cela. Et cela, c'est un créateur. Par contre, celui qui va produire des
images ressemblant aux flocons de neige, avec des couleurs très belles
etc… en mettant plein la vue, puis encadrant cela, c'est un technocrate qui se
dit artiste. Maurice
Benayoun : Je
suis tout à fait d'accord avec la première partie, c'est à
dire, effectivement, qu'on peut faire des images extrêmement décoratives
avec des ordinateurs, et c'est très bien pour ceux que cela regarde, et
je ne crois pas qu'il y ait un travail artistique vraiment intéressant
derrière, nous sommes d'accord. Dire que quelqu'un qui simule des phénomènes
physiques c'est un créateur, je ne partage que, moyennement, votre opinion
là dessus. Maintenant,… c'est ce que vous disiez par rapport à la
recherche de la structure des particules etc… pour moi…pour moi, c'est quelqu'un
qui fait un travail de simulation, c'est intéressant, très intéressant,
et cela a autant de valeur, je pense, que tout travail de création labelisé
comme tel, mais tout cela n'a rien à voir avec ce dont je parlais tout
à l'heure, absolument rien…. Oui, effectivement, ,je parlais aussi de matière
vivante et non physique mais… Fabrice
Bousteau: Yves Michaud ouvrait le débat au début en posant trois
questions. Il y a en a une qui n'a pas été abordée: c'est
l'évolution, la multiplicité des médiums artistiques et leurs
incidences sur l’art. Yves Michaud, vous dites dans votre dernier livre, comme
le rappelez Antoine Perrot, que la démocratisation fait évoluer
la réception de l’art et les enjeux artistiques Yves
Michaud : Je vais essayer de répondre à ce que vient de dire Fabrice
Bousteau. Je dirais qu'il y a, effectivement, un éclatement des pratiques
artistiques qui correspond à la fois à l'arrivée de nouveaux
médias mais disons que ce n'est pas nouveau, que c'est pas si nouveau que
ça, la photographie, le cinéma, les diverses pratiques de montage
et de collage ont produit une quantité considérable de nouvelles
formes d'art dans de nouveaux médias depuis le début du siècle
et depuis le XIXème siècle. Ce qui est plus important, je dirais,
c'est que notre sentiment du pluralisme par rapport aux pratiques artistiques
est renforcé par le pluralisme des publics et de la réception et
c'est pour cela que j'insiste là-dessus comme si c'était mon dada.
Et c'est vrai que ce ne sont pas les mêmes catégories de personnes.
Quand on parle du public en général à mon avis cela ne veut
rien dire. Ce ne sont pas aux mêmes catégories de personnes que sont
adressées les oeuvres selon leur nature et ce n'est pas forcément,
en plus, pour les mêmes expériences esthétiques. Je dirais
que la question est à rallonge. Il y a une pluralisation des médias,
il y a une pluralisation des publics et du coup il y a aussi pluralisation des
expériences. Je
crois et cela a été bien dit par Perrot et par Gauthier que l'expérience
du regard sur la peinture n'est pas le même type d'expérience esthétique
que l'expérience, par exemple, de la perception de la vidéo ou que
l'expérience de l'interactivité à propos d'installations
d'images de synthèse. C'est la différence, si vous voulez, entre
la perception rapide, genre zapping ou scanning, qui fait partie de nos attributs
d'animal ayant des expériences esthétiques, et puis, une expérience
de perception recueillie et attentionnée. Il y a tout ce registre là.
L'expérience esthétique couvre un éventail d'expériences
très large et très hétérogène. Du coup j'accepte
volontiers par exemple quand on réintroduit le ludique. C'est vrai que
par rapport à une conception de l'oeuvre d'art comme devant recevoir une
perception attentive, recueillie, concentrée, l'expérience du jeu
est très scandaleuse, mais en même temps il n’y a pas besoin de remonter
plus loin que Schiller. Schiller fait une comparaison systématique entre
l'art et le jeu et il y a des éléments en commun entre l'art et
le jeu et en même temps le jeu est une dimension différente. On redécouvre
souvent aujourd’hui des dimensions ludiques dans l'art qui avaient été
exclues par le modèle perceptif de la peinture. Donc je dirai triple pluralisme
: pluralisme des médias, cela nous frappe quand on voit peinture, sculpture,
multimédia, installation, nouvelles technologies, on se dit, mon Dieu,
il y en a beaucoup… Songez aussi à l'importance du son, aujourd'hui même
dans les arts visuels. Bon, pluralité des médias. Ensuite, il y
a une pluralité de publics. J'ai été frappé récemment
par ce que m'ont dit des jeunes femmes à Marseille qui travaillaient avec
moi dans un groupe d'histoire de l'art. Elles me disaient : pour ce qui est de
l'art public, nous aimons beaucoup Made in Éric. Elles me disaient que
pour ce qui est de l'art public nous avons des choix et des goûts qui sont
complètement radicaux par rapport aux vôtres. Mais, pour ce qui est
de nos expériences privées, ce qu'on met chez nous, nous avons des
goûts plus conservateurs. J'ai été très étonné
de cette dissociation, même, du public à l'intérieur même
des personnes. Pluralité des publics et, bien sur, pluralité des
expériences. Le jeu, le zapping, ce n'est pas la même chose que la
perception d'une peinture et c'est pour cela que du coup cela pose le problème
de l'info-communication. Si on se met à regarder les peintures comme on
zappe les émissions de télévision, bien, évidemment
on va privilégier certaines peintures où on identifie très
facilement la même chose qui se répète à toute vitesse.
Voilà, c'est tout. Un
intervenant ( Eric de Chassey ) : Juste pour reprendre ce que disait Yves Michaud
et peut être, un petit peu, considérer ce qui a été
dit par un certain nombre d'artistes, je suis très frappé de voir
que dans cette situation de pluralité que décrivait Y Michaud et
que, en gros, les historiens d'art, les critiques, les esthéticiens, philosophes
etc… reconnaissent, les artistes eux ont tendance à se placer pratiquement
comme s'ils étaient en train de redéfinir une hiérarchie
des genres et que, en gros, il y a une certaine tentation que je sens spécialement
chez Antoine Perrot, malheureusement d'une certaine façon, à rétablir
une espèce de primauté de la peinture qui procurerait des expériences
plus fortes, plus sacrées, plus quelque chose comme cela, je fais exprès
d'employer des termes, Antoine, que jamais tu n'emploierais, par rapport aux autres
médiums, comme si cette situation de pluralité, elle était
absolument insupportable et mon expérience, à moi, d'ailleurs comme
historien d'art ou comme critique ou organisateur d'exposition, c'est qu'on est
censé n'aimer qu'un seul genre parmi ces différent médiums
et qu'il y a une très grande difficulté à se penser soi-même
et à ce que les autres vous pensent comme étant capables de ces
différentes expériences. Alors, est-ce qu'on peut arriver, en France,
aujourd'hui, à penser les choses d'une manière plus pluraliste effectivement,
pour reprendre cette idée de démocratie radicale, ou pas ? La situation
française me semble, de ce point de vue là, complètement
anachronique et très étonnante si on la compare, par exemple, avec
la façon dont les choses peuvent se passer dans un certain nombre d'autres
pays où il n’y a pas cette tentation permanente de l'ostracisme des gens
qui feraient autre chose que vous. Voilà c'est simplement un discours de
critique par rapport à un discours de praticien. Antoine
Perrot: Je
suis un peu gêné. Je trouve qu’Eric force un peu le trait. Il n'est
pas question de rétablir une hiérarchie. Il me semble que quand
j’évoque Baselitz de la façon dont je le fais, je ne cherche pas
à restituer une hiérarchie. Je voudrai dire en premier que le pluralisme,
dont on parlait, ne doit pas entrainer cet espace de vague consensus mou, où
toute position critique est accusée d’ostracisme. Ensuite les questions
que j’ai abordées, mais je suis peut être confus, les questions
donc portaient principalement sur la réception des œuvres et par conséquence
sur les enjeux des pratiques artistiques. Je pense et c'est ce que j'ai essayé
d'expliquer tout à l'heure, que, par rapport à une démocratie
radicale, il faut absolument laisser la possibilité à un spectateur,
quelqu'il soit, de pouvoir faire acte soit de refus, soit d'indifférence,
soit d'acceptation. Mais, et c’est l’autre face, il semble qu’au sein des pratiques
artistiques, il y a des glissements et que ces glissements, justement, s’ajustent
à ce pluralisme en proposant des processus un peu décalés,
un tout petit peu plus faciles, plus abordables. Il y a là une analyse
qui n'a pas été faite. Je regrette d'ailleurs qu'Yves Michaud n'est
pas poussé son livre un peu plus loin, par exemple sur une analyse du marché.
Celui-ci favorise une fragmentation des pratiques parce qu'il a tout intérêt
à ouvrir le marché de l'art à une certaine forme de marketing.
La peinture d'une certaine manière s'oppose à ce marketing et c'est
sans doute là où elle a une position un peu difficile, ou bien,
c'est l'exemple que je donnais tout à l'heure: il faut être riche,
vivre dans un château moyennageux avec des chiens-loups autour et avoir
une figure de violence, une figure de mythe médiatique. Le problème,
pour moi, se pose véritablement dans cet ordre là : est-ce qu'il
n’y a pas actuellement des glissements dans les pratiques, où des artistes,
pour arriver à survivre et à continuer financièrement à
produire, vont glisser vers des pratiques un peu plus légères, vont
glisser vers des pratiques qui vont satisfaire aussi l'institution et le marché
et permettre cette survie financière. Intervention
brève dans la salle Antoine
Perrot: Une
pratique c'est pas simplement le médium, c'est pas simplement le processus
dans l'atelier, une pratique artistique c'est aussi, j'espère, être
dans la cité, être citoyen, se préoccuper de ce qui nous environne.
On peut pas réduire une pratique à, simplement, je bidouille dans
mon atelier tous les jours. Si on en est là, moi, je ne bidouille plus.
Dominique
Gauthier : Pour
moi il s'agissait de dire à partir de quoi se posait, se situait une expérience,
quel était mon engagement. Je suis engagé à ce niveau là
et j'essayais de préciser les conditions optimales de cet engagement. Je
m'intéresse vraiment, par ailleurs, à toutes les formes d'art, je
ne fais aucune restriction, aucune hiérarchie, mais il s'agit toujours
de dire quels choix on fait à un moment donné. Donc je pensais que
c'était utile, par rapport à la question de la réception
d'une œuvre, de dire à partir de quoi on la produit, pour quelles raisons
et en tenant absolument compte des conditions objectives et spécifiques
de l'œuvre mais pas du tout pour inscrire une hiérarche quelconque.
Fabrice
Bousteau: Est-ce que vous avez le sentiment, Yves Michaud, qu'aujourd'hui il y
a une exclusion, que le marché tente d'exclure certains médiums
et d'en privilégier d'autres ? Yves
Michaud : Merci
de me poser ces questions car je voulais intervenir sur ce qu'avait dit Perrot.
La question n'est pas de rétablir des hiérarchies, mais il faut
aller jusqu'au bout du pluralisme. Le pluralisme ce n'est pas un pluralisme destiné
à laisser purement et simplement s'imposer des choses qui sont à
la mode ou qui paraissent être dans l'air du temps. Le pluralisme doit être
vrai. Il consiste aussi à revendiquer, à accepter et à défendre
un certain type d'expérience. Je crois que, dans le cas de la peinture,
ce qu'il faut aujourd'hui, c'est protéger certaines expériences
et défendre le droit à certaines expériences. C'est vrai
que nous sommes submergés d'images, submergés de choses qui vont
vite. On est submergé de ludique et on en sera de plus en plus submergé.
On peut au contraire vouloir absolument revendiquer un certain type d'expérience
qui n'est pas forcément une expérience du passé ou dépassée
mais qui, simplement, est la nôtre. Il y a vraiment l'énorme pression
de l'esprit du temps et cela on n'y changera pas grand chose, mais il reste toujours
des niches, si vous voulez. C'est pas parce qu'il y a des best-sellers innommables
qui se vendent par millions et qui sont fabriqués sur commande et qui sont
préfabriqués qu’il ne reste pas de la place pour quelques poètes,
pour Andrea Zanzotto ou des gens comme cela. Il reste de la place pour certaines
expériences qui sont indispensables car elles font partie, je dirais, de
notre nature comme animal ayant des expériences esthétiques. En
revanche, ce que je mettrai en cause, et vous le savez c'est un de mes sujets
favoris, c'est le poids de l'institution, justement, quand l'institution cherche
à courir après l'esprit du temps et là, effectivement, le
pluralisme se trouve très facilement gauchi parce que si, en plus, il y
a une sorte de codification institutionnelle de l'évolution de l'esprit
du temps, alors cela devient grave. Donc ce que je mets en cause, c'est la volonté,
je dirais, institutionnelle de manipuler le champ symbolique. Cela, c'est la formulation
savante et habermassienne, c'est l'expression de ma critique de l'intervention
de l'Etat et de l'Etat culturel dans l'esprit du temps. L’Etat culturel n'a qu'a
laisser l'esprit du temps se porter comme il se porte et il ne se porte déjà
pas si bien. Un
intervenant: Je
remercie Yves Michaud pour son esprit de tolérance et la clarté
de son intervention et j'ai trouvé l'intervention de Benayoun très
intéressante, disons très claire, très complète, mais
je tiens à m'inscrire en faux. Je ne suis pas d'accord avec sa vision.
Je pense pour ma part que la vulgarisation de l'art, sous des formes modernes
totalement tributaires du progrès de la technique, donc informatique, info-médias
etc… je ne crois pas, personnellement, je ne pense pas que la vulgarisation de
l'art est de rendre l'art beaucoup plus facile, automatique, permettant aux gens
de ne plus faire un effort pour voir des images, de bombarder d'images un écran
informatique via internet. Je ne crois pas que cela rende service à l'art
et aux artistes en général. Cela ne rend pas service à l'art
comme institution, ni à l'idée de l'art, ni au marché de
l'art. Je crois que ce sont des fossoyeurs inconscients de l'art qui font partie
d'une modernité acceptée par esprit de tolérance, et en cela
c'est positif qu'il y ait une tolérance, mais en même temps, cela
réintroduit la notion de mort de l'art. Je suis personnellement contre
cette évolution technologique de l'art qui me semble le contraire de l'essence
du message artistique en général. Fabrice
Bousteau : Yves Michaud vous voulez, sans doute, répondre en premier, mais
je crois qu'il y a une confusion entre les nouvelles technologies comme outils
de vulgarisation et les nouvelles technologies comme outils de création.
Yves Michaud
: Moi,
c'était sur la haute idée de l'art que vous semblez entretenir.
Vous savez, récemment à un débat, Gérard Genette disait
: "Je n'ai pas d'argument contre quelqu'un qui préfère le " Petit
Vin blanc " à l'art de la fugue, et vous m'avez félicité
pour ma tolérance mais je la pousse très loin. Je crois qu’il y
a plein d'expériences esthétiques qui sont extrêmement modestes,
qui sont même éventuellement extrêmement vulgaires, qui sont
extrêmement simples, qui sont au bord du non esthétique et qui ne
doivent pas être protégées mais qui doivent être reconnues
parce que je trouve qu'il y aurait, quand même, un petit paradoxe à
soutenir que seules, disons, certaines personnes, particulièrement sensibles
et à la sensibilité élevée, auraient droit d'avoir
des expérience esthétiques. Il y a aussi une esthétique de
la banalité, une esthétique du vulgaire…. Je
ne parle pas là de Manzoni, car pour moi c'est encore de la haute culture,
mais pensez que, même dans ces champs que vous considérez comme extrêmement
vulgarisés, il y a aussi une expérience esthétique. Je dis
donc, et je m'arrête là-dessus, soyons vraiment pluralistes.
Maurice
Benayoun: Je
vais être bref pour laisser la parole au Monsieur là-bas. Deux petites
choses, juste pour rectifier un petit point historique. Effectivement la première
apparition d'Internet c'est aux Etats-Unis, le Web, c'est à dire sa version
multimédia, c'est européen, cela a été créé
au CERN, c'est à dire qu'à partir du moment où on a mis du
contenu et notamment de l'image dedans, cela venait de l'Europe. Pour ce qui est
dont je vous parle, je peux paraître comme un zélateur d'Internet,
ce n'est pas mon but. Pour ce qui est de la vulgarisation de l'art, ce que vous
dites là m'évoque aussi, un peu, ce qu'on disait au début
de l'imprimerie avec les dangers qu'il y avait à divulguer trop largement,
finalement, un savoir qui était réservé à certains……
Alors
excusez moi si j'ai mal compris. Un
intervenant: Au début de son intervention, Yves Michaud soulignait un point
qui n'a pas été évoqué : l'engagement social de l'art.
Je crois qu’un grand nombre d'artistes a développé dans les années
70 une réflexion sur cet engagement et sur leur rapport au marché.
Par exemple, certains ont souhaité multiplier les images pour les rendre
plus proches de ce qu'on pourrait appeler un public. Ce serait peut être
le moment, avant de clore le débat, de revenir sur les enjeux sociaux des
pratiques artistiques. Yves
Michaud : Vous faites bien de poser la question. Vous avez bien vu que ce n'est
pas apparu et moi cela me trouble, mais cela a peut être à voir avec
la situation actuelle. Moi, ce que j'ai perçu dans le discours de Dominique
Gauthier, par exemple, c'est qu'il relatait une aventure personnelle de peintre,
disons, dans la pratique picturale et par rapport à un champ qui est celui
de la peinture. L'extérieur on sait pas où il intervenait. Benayoun
s'est bien défendu aussi de joindre un public et il s'est positionné,
en fait, comme un artiste romantique assez classique, finalement, en dépit
de son médium. Il est un créateur, il fait développer ses
logiciels, il est un peu un démiurge aussi. Antoine Perrot était
plus sensible à l’extérieur mais avec une énorme hésitation:
que faire en quelque sorte quand on n'est ni un démiurge, tout prêt
pour la première page de Paris-Match ou de Gala, ni quelqu'un qui fait
de l'info-com? Là encore, je reviendrai à ce que j'ai dit en commençant
parce que c'est vrai qu'aujourd'hui, par exemple, un artiste qui prend une position
critique, qui veut dénoncer quelque chose, qui est engagé,- il m'est
arrivé d'écrire sur des gens comme Krzysztof Wodiczko, Dennis Adams,-
il est immédiatement récupéré, il a à se singulariser
dans un monde qui émet des images et y compris des images critiques continuellement
sur ce monde là. J'avais été frappé par exemple quand
j'avais travaillé sur Dennis Adams de voir que lorsqu'il a fait une exposition
à Marseille, il l'a faite avec l'appui de Jean-Claude Decaux et dans le
catalogue de l'exposition de son œuvre à Marseille sur le Vieux-Port, il
y a un entretien entre D. Adams et J-C Decaux et cet entretien est absolument
fabuleux parce que cela commence par un entretien de D. Adams par J-C Decaux puis
petit à petit J-C Decaux lui fait comprendre que l'artiste c'est lui parce
que c'est lui qui a les moyens, c'est lui qui montre des images, c'est lui qui
est le maître des conditions d'apparition des images et D. Adams a toutes
les peines du monde à retourner petit à petit la situation en fin
d'entretien. Et j'en ai parlé avec D. Adams qui m'a dit que, effectivement,
il était dans une situation très difficile parce que lui fait des
images critiques mais ces images critiques sont complètement avalées,
absorbées, englouties, dans un flux d'images qui sont soit d'adhésion
soit de critique. Bon, c'est vrai qu'aujourd'hui, un artiste qui est critique,
quel est son poids? Un artiste critique comme Alfredo Jaar aujourd'hui quel est
son poids par rapport à des associations humanitaires par exemple? Prenez
n'importe quelle organisation humanitaire qui diffuse des photos, qui engage des
artistes pour faire les photos, ses campagnes de presse et voilà, bon…
je livre, voilà, mes questions au public mais je n'ai pas beaucoup plus
de choses à dire. Fabrice
Bousteau : Je donne la parole à Dominique Gauthier qui l'a demandée
mais juste auparavant, une réflexion : votre remarque tient aussi à
la nature des artistes présents autour de cette table. Je crois que si
Pierre Huygues était ici cette après-midi, Matthieu Laurette ou
Marie-Ange Guilleminot, la dimension sociale de leurs interventions artistiques
étant très forte, le débat aurait une autre connotation.
La base de leur art est fondée sur un travail sur l'économie et
sur ses fondements, sur les règles qui définissent notre société
aujourd'hui ce qui, effectivement, n'apparaît pas à travers les propos
des trois artistes présents à cette table. Dominique
Gauthier : C'est
une question d'adéquation à un instant, ou la question de l’instantanéité.
Ce que je voulais dire ne cherchait pas du tout à évacuer la question
sociale, donc de l'inscription de l'oeuvre dans la société, dans
son temps d'action et d'émergence. Je voulais situer les choses dans une
dimension plurielle, c'est à dire que j'ai affaire à plusieurs temps,.
J'esquissais cela en disant: le temps historique de l'héritage et le temps
de l'oeuvre dans son devenir, dans l'appréciation idéale de son
devenir. Je crois qu'il serait assez important pour certains artistes, peut être
aussi pour les commentateurs et les critiques de ces engagements artistiques,
de considérer que l'actualité et l'instant de l'oeuvre sont des
éléments de compréhension relatif. L'inscription de mon engagement
n'écarte pas du tout les conditions d'environnement et d'intégration
à une société, mais je les pense plus en terme de civilisation.
Je pense que ce que m'objectait Yves à l'instant, me faisait remarquer,
c'est assez héritier d'une dimension moderniste de l'art et éventuellement
de l'appréciation de son utilité et cette utilité appartient
à une dimension, à mon avis, qui correspondrait à un temps
unique. Je voulais signifier que l'oeuvre avait une étendue, que la relation
à la société, à la cité, avait aussi des étendues
et que c'était en mélangeant quelque chose à plusieurs dimensions
qu'on pouvait peut être apprécier à la fois la vérification
de son propre engagement, en tant que peintre, et espérer justement avoir
un contact adéquat avec le monde. Et je trouve que cela est quand même
une particularité, ce n’est pas éviter la question mais c'est la
poser d'une autre manière, avec d'autres conditions et je n'ai pas l'impression
de refermer mon activité sur un engagement purement existentiel que je
respecte par ailleurs. Maurice
Benayoun: Je
voudrais répondre plusieurs choses à ce qui a été
dit. Sur le fait que finalement ma démarche n'est pas très différente
de celle d'un artiste du milieu du XXème siècle ou à la limite
de la fin du XIXème : c'est tout à fait vrai. Je ne le conteste
absolument pas. Précisons tout de même que, d'une certaine manière,
ce n'est vrai que quand je m'inscris dans le champ artistique. La grande différence
c'est que je ne me limite pas, au niveau de mes activités, au champ artistique,
et donc je travaille aussi dans d'autres contextes, notamment l'enseignement.
Pour le reste c'est assez juste. En ce qui concerne la question de l'engagement
dans la cité, c'est intéressant parce qu'on peut reconnaître
qu'il y a une espèce de désengagement général, de
toute façon, dans notre milieu à la fin des années 90. Il
y a une espèce de désengagement politique général.
Maintenant, cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas d'engagement des artistes. Notamment,
on a évoqué tout à l'heure Internet, je me sens obligé
de réintervenir là-dessus,:ce qui va faire que l'étiquette
va me coller à la peau définitivement, mais cela ne fait rien, cela
n'a pas grande importance. Il se trouve que, justement, Internet, mettant en jeu
un grand nombre d'individus, se prête tout à fait à des actions.
Et beaucoup de travaux de création sur internet sont, typiquement, vraiment
engagés. Notamment le travail de Muntadas avec le File Room - je ne sais
pas si vous connaissez - qui recense tous les cas de censures dans le monde et
notamment le travail d'un artiste dont j'ai malheureusement oublié le nom,
qui travaille sur les réfugiés et qui fait en sorte de créer
une sorte d'état pour les réfugiés de la planète,
sur Internet. Il y a beaucoup de choses qui vont dans ce sens là. Au niveau
de ma pratique personnelle, je ne voulais pas tout à l'heure m'étendre,
mais ce n'était pas pour éviter de répondre, parce que j'estime
avoir une certaine forme d'engagement dans mon travail et qui n'est pas forcément
un engagement dans l'actualité, mais je vais quand même donner deux
ou trois exemples pour dire à quel niveau. Je faisais en Septembre une
exposition Ars Electronica offrant au public majoritairement autrichien, à
Linz, dans la ville d'Hitler, la possibilité d'effacer la mémoire,
c'est à dire de créer, par effacement, des images qui faisaient
disparaître la mémoire notamment du nazisme. Il y avait des images
de nazis, il y avait tout ce qu'il fallait là-dessus, donc ils participaient
à leur propre effacement de la mémoire, ils participaient aussi,
finalement, à une mise en scène de ce qu'est leur pratique du passé
qui est quand même assez particulière. On a évoqué
tout à l'heure une oeuvre que j'ai faite qui était commanditée
partiellement par Canal+ qui en ignorait le contenu, et qui était présentée
très largement sur le stand de Canal+ à "Imagina", donc dans un
lieu très commercial. Je montrais une installation qui mettait le spectateur
en situation de vivre un rapport avec un être autonome, qui simulait finalement
le comportement d'un programme de prime-time en télévision, c'est
à dire que le spectateur se trouvait confronté à la situation
d'avoir quelque chose en face de lui qui cherchait à le séduire
à tout prix et qui pour cela était prêt à toutes les
métamorphoses et à tous les compromis avec un comportement spécifiquement
putassier. C'était sur le stand de Canal +, c'était payé
partiellement par Canal+. C'était là. Donc il y a des formes d'engagement
qui sont liées à ces techniques qui ne sont pas systématiquement
des formes de compromis. Un autre travail que j'ai fait qui s'appelle Dieu est-il
plat? dans la série des Grandes Questions, l'autre c'était : Le
diable est-il courbe?. Dieu est-il plat? c'est beaucoup plus une interrogation
sur ce que c'est que de déléguer à une image - en l'occurrence
la représentation de Dieu - ce que c'est de transférer à
une image un pouvoir sur l'homme, son existence et sa place dans le monde. Donc
pour moi c'est une forme d'engagement et c'est tout ce que je peux faire. C'est
tout ce que je peux faire à ce titre et dans ce cadre et je ne pense pas
que cela ait un pouvoir extraordinaire sur le monde mais néanmoins ce que
je peux faire je le fais. Fabrice
Bousteau: Yves Michaud, est-ce que la « pluralisation » des pratiques
artistiques aujourd'hui, l'atomisation des publics, n'a pas entraîné,
peut être, une visibilité moins forte de l'engagement des artistes
aujourd'hui ? Et j'ai une autre question : dans la polémique à laquelle
vous participez avec Jean Clair et d'autres, nous journalistes, nous sommes très
étonnés par le fait que les artistes prennent en définitive
peu la parole par rapport aux intellectuels qui alimentaient le débat.
Yves Michaud:
Il y a moins de visibilité des artistes, je crois, à cause du choix
par le plus grand nombre d'autres formes de pratiques artistiques et culturelles.
Ce n'est pas, à mon avis, pour rien que lors des prises de position concernant
la question de l'immigration ce sont plutôt les cinéastes qui ont
été en tête, plutôt que toute autre catégorie,
effectivement, d'artistes. Moindre visibilité, je crois que cela correspond
à ce changement que nous vivons c'est à dire un changement dans
la hiérarchie des arts. Je ne dis pas la hiérarchie, à la
différence de de Chassey, ce n'est pas la hiérarchie officielle.
Dans la hiérarchie factuelle, il y a certaines formes d'art qui ont aujourd'hui
plus de visibilité et plus d'influence que les arts visuels. Il faudrait,
d'ailleurs, se demander comment les arts visuels en sont venus à occuper
pendant un certain temps la position première parce qu'on doit rappeler
qu'au XIXème siècle l'art majeur c'est d'abord la poésie
et ensuite la littérature. Le grand intellectuel français du XIXème,
c'est d'abord Victor Hugh et si on avait parlé d'une crise de l'art contemporain
au XIXème, ç’aurait été d'abord une crise de la littérature.
Comment se fait-il qu'il y ait eu une réorganisation dans nos perceptions
de l'art telle que la sculpture, la peinture, en gros tout ce qui est dans les
musées, en soit venu à avoir le premier rang et, probablement aussi
aujourd'hui, à le perdre. Donc effectivement il y a une perte de visibilité,
un changement dans l'économie de la culture. C'est ce dont je fais un peu
le diagnostic dans mon livre. Du silence des artistes, il y a plusieurs raisons.
Il y a des raisons peut être institutionnelles, sociologiques mais cela
a à voir avec la nature du débat. C'est un débat, je dirais
démocratique c'est à dire que c'est un débat où un
certain nombre de gens non compétents, qui ne sont pas du milieu de l'art
– on le leur a d'ailleurs assez reproché – prétendent formuler des
jugements et des appréciations sur l'art. C'est une étape dans l'irruption
de la démocratie aussi dans les questions de goût. La démocratie
s'étend à des champs de plus en plus nombreux et elle fait irruption
aussi dans le domaine du goût. Du coup, les artistes représentent
seulement une partie des gens concernés dans cette affaire; ils n'ont pas
forcément le plus mauvais point de vue mais ils n'ont pas forcément
le point de vue unique sur leur activité. Il y a aussi une réaction
du champ social à ce que font les artistes. C'est la fin de la tour d'ivoire
formaliste, et si cela les conduit à repenser, justement, le statut de
leur pratique et les enjeux de leur pratique, c'est une excellente chose parce
que pendant très longtemps, justement, il a été tellement
acquis, notamment avec l'emprise du modernisme formaliste, que les gens du milieu
et les artistes en particulier étaient finalement maîtres de la définition
et des enjeux du champ, cela a été tellement acquis qu'on avait
fini par oublier que le champ était en rapport avec le champ social en
général. Encore une fois, si vous reprenez l'exemple de la littérature
au XIXème siècle, le problème des enjeux des pratiques littéraires
au XIXème siècle n'est pas simplement un problème réservé
au milieu littéraire, c'est aussi un problème lié au public,
à la démocratie, à l'instruction publique. Encore une fois,
reprenez le cas de la figure de Victor Hugo. Un
intervenant: Un
débat? C'est une polémique entre Monsieur Michaud et Monsieur Henric.
On en a plein la tête, plein les médias. On en a assez. Les artistes
travaillent…..S'il y avait débat, on serait partie prenante. Cette polémique
n'est pas du tout intéressante. On se fiche que Baudrillard dise que l'art
est nul. Pour moi, c'est pas le sujet du jour. Cela dit… Yves
Michaud: Baudrillard trouve que tout est nul. C'est un sceptique L'intervenant:
J'ai
remarqué… Je ne dis pas que l'art contemporain est nul, je dis qu'il est
inexistant pour 90% de la production qu'on voit. C'est une autre histoire. On
parle beaucoup des enjeux des pratiques artistiques et d'expérience et
d'expérimentation. C'est un débat très technique, en fait,
qui dit expérience et expérimentation, dit quelque chose en cours
d'élaboration, donc non fini, et qu'on montre et qu'on est tenu de consommer
dans les galeries etc… Puisque il y a un artiste multimédia qui fait des
images, j’ai une question à lui poser…J'aime beaucoup les nouvelles technologies;
moi, aussi, je m'amuse beaucoup avec mon ordinateur sur internet… mais j'ai l'impression
qu'on en parle comme un photographe qui discourerait beaucoup sur son appareil
photo mais dont on ne verrait pas le travail ou dont le travail serait peu porteur
de sens. Chez les artistes contemporains qui pratiquent ces nouvelles formes,
quelle est la finalité de leur production? Est-ce que c'est la finalité
de toute création artistique, en fait. Est-ce que c'est, comme le travail
de Beuys, transformer l'individu dans la société, transformer les
rapports des individus entre eux et, par là, de changer la société
ou alors, est-ce simplement une pratique très technologique et qui, pour
moi s'apparente à montrer un savoir-faire que je qualifierais de masturbatoire
et qui ne nous intéresse pas. Si les gens veulent se masturber, ce n'est
pas la peine de le faire dans une galerie. Donc, je voudrais qu'on clarifie. Et
puis une deuxième question: j'ai entendu deux fois dans la salle le terme
de démocratie radicale et cela m'inquiète beaucoup et je voudrai
que vous précisiez votre pensée à ce sujet d'autant que la
présentation que M. Perrot a fait de Baselitz m'inquiète beaucoup
et que s'il a dit dans un article qu'une société démocratique
est dangereuse pour l'art, il n'a certainement pas voulu dire qu'il était
anti-démocratique, et s'il dit aussi qu’ Hitler a été artiste
mais qu'il a quitté son atelier, oui et alors ? cela ne veut rien dire
sorti de son contexte. On peut prendre comme cela une petite phrase et faire des
commentaires à l'infini. Surtout, cette notion de démocratie radicale
m'inquiète énormément et je voudrai entendre quelques précisions
là-dessus. Fabrice
Bousteau: Je donne la parole à Yves Michaud parce que cette notion de démocratie
radicale est un concept développé par Yves Michaud. Y
Michaud: Pour autant que je puisse aller vite, je vais essayer quand même,
d'être précis et clair. Le concept de la démocratie, qui nous
est échu des Lumières, est un concept de l'égalité
de citoyens qui sont éclairés, qui ont une raison, qui ont été
éduqués. D'ailleurs, pendant tout le XIXème siècle,
y compris chez Kant, par exemple, vous avez la différence entre citoyen
actif et citoyen passif. Il y en a certains qui ont le droit de voter parce qu'ils
sont éclairés et qu'ils sont autonomes et d'autres qui ne peuvent
que bénéficier de la liberté et de l'égalité,
parce qu'ils ne sont pas assez éclairés, parce qu'ils ne sont pas
assez autonomes, par exemple les femmes, les domestiques, les enfants, etc. Cela,
c'est le concept, disons, de la démocratie du XVIIIème siècle,
hérité des Lumières, qui est un superbe concept sur lequel
nous avons vécu et qui durant tout le XIXème a donné naissance
aux spéculations sur les questions suivantes : à quelles conditions
pouvaient-on être électeurs, fallait-il payer des impôts, fallait-il
être propriétaires, fallait-il ceci, cela, etc. ?. Ce qui apparaît
avec la société de masse et la société du XXème
siècle, c'est qu'en fait tous les hommes, quel que soit leur degré
d'éclairement et d'éducation, sont égaux. C'est ce qu'il
y a dans le code électoral: que vous soyez idiot ou compétent, vous
avez la même voix et c'est cela la démocratie radicale. C'est le
jour où, en fait, toute personne, en vertu du fait qu’elle est un homme,
tout simplement, et qu’elle est supposée avoir une raison, peut exercer
strictement tous ses droits, donner son avis, agir, voter pour peser sur les décisions.
Cela donne une forme de démocratie qui est gênante par rapport à
l'idéal, si vous voulez, de la rationalité parce qu'il y a de la
démagogie, il y a du populisme, il y a le gouvernement par les sondages,
il y a la tyrannie de l'opinion, il y a le populisme, Dieu sait si on est exposé
au populisme, mais je crois que c'est aussi cela la démocratie radicale,
qu'on n'en reviendra pas et que, en fait, c'est probablement la meilleure forme
de démocratie. Comment allez-vous décider de la compétence
de quelqu'un à donner son avis sur quelque chose ? Je sais bien que là
nous sommes à la table des orateurs, que nous sommes censés avoir
plus de compétences, mais la règle du jeu c'est que, en gros vous
acceptez cela. Mais vous, l’assistance, vous ne vous privez pas de nous dire que
vous n'êtes pas d'accord, et vous avez raison, et vous en avez le droit,
fondamentalement. C'est tout, c'est cela la démocratie radicale. A mon
avis, la démocratie radicale est irréversible. Cette démocratie
radicale s'étend progressivement jusque à ce fait très important:
c'est que les gens n'aient même plus de révérence pour le
jugement des experts. Tout expert trouve, toujours, un plus expert que lui et
d’autres moins experts que lui, par définition. Fabrice
Bousteau: Je donne la parole à M. Benayoun qui a été attaqué
et qui va répondre et puis on finira le débat parce que la démocratie
c'est aussi de permettre aux autres d'avoir le même temps de parole. Il
y a les débats qui vont suivre et donc je donne le dernier mot à
Maurice Benayoun. Maurice
Benayoun: Je voudrais juste répondre à la question qui m'a été
posée, à la remarque de tout à l'heure, qui était
tout à fait pertinente: sur l'idée qui était qu'après
tout on en parle de toutes ces choses, on en parle, mais on n'en voit pas et à
la limite c'est que de la technologie etc. Je voulais dire que c'est la
première fois que j'interviens sans montrer d'images, habituellement, je
refuse d'intervenir sans montrer des images justement parce que ce sont des domaines
où on fantasme beaucoup plus qu'on ne fait de choses et j'aurai voulu en
témoigner. Sur la question de savoir si c'est juste technologique ou si
c'est vraiment porteur de sens, ce que j'espère profondément, là
ce n'est pas à moi de répondre, par contre, je me tiens évidemment
à la disposition de ceux qui veulent vraiment voir des choses.
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